Une entreprise en bonne santé économique doit-elle augmenter les salaires ?

Alors que les négociations sont au point mort entre la direction de Total et les grévistes, le gouvernement appelle le groupe à augmenter les salaires.

Les négociations entre direction et syndicats sont au point mort chez TotalEnergies.
Les négociations entre direction et syndicats sont au point mort chez TotalEnergies. © Aufort Jérôme/stock adobe.com

« Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. Total a la capacité et le devoir d’augmenter les salaires », a martelé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, jeudi 13 octobre, au micro de RTL. Depuis 24 jours, le groupe pétrolier fait face à un mouvement de grève au sein de ses raffineries. La revendication des salariés : une augmentation de salaire de 10%, une demande qu’ils jugent légitime dans un contexte d’inflation et de bénéfices colossaux réalisés par l’entreprise (19 milliards sur le premier semestre 2022, soit trois fois plus que sur la même période l’an dernier).

Une divulgation des salaires qui jette de l’huile sur le feu

Face à cette situation de blocage, qui génère une pénurie de carburant dans plusieurs régions, la direction de TotalEnergies a publié, le 9 octobre, un communiqué de presse qui n’a fait que raviver les tensions. Ce document dévoile la rémunération moyenne de ses opérateurs de raffinerie : 4 300 € brut par mois hors intéressement et participation et 5 000 € avec.

Des montants contestés par les syndicats : « On ne sait pas d’où sortent ces chiffres. Ils ne se retrouvent pas dans les documents officiels fournis aux représentants du personnel », a déclaré Thierry Defresne, secrétaire CGT du comité européen TotalEnergies, interviewé par Libération. Côté CFDT, le délégué, Geoffrey Caillon, rappelle que « ce chiffre est une moyenne, il y a un écart entre les cadres et les autres. Nous avons des salariés qui gagnent beaucoup moins. »

Selon l’Union française des industries pétrolières, le minimum conventionnel versé à un opérateur extérieur se situe entre 1958 € et 2456€ brut mensuels (hors prime). Quant au chef de quart, son salaire mensuel brut minimum se situe entre 2 815,86 € et 3 266€.

Quelle marge de manoeuvre pour l’employeur ?

Comment sortir de cette impasse ? Total est-il tenu d’augmenter les salaires et de répondre aux appels répétés du gouvernement ?

En France, aucune disposition légale n’oblige un employeur à augmenter ses collaborateurs, et ce, même si l’entreprise affiche des résultats mirobolants. S’il jouit d’une relative liberté dans la fixation des salaires, l’employeur doit, en revanche respecter certains seuils :

  • Ne pas payer ses salariés en-dessous du SMIC, ce qui implique d’aligner la rémunération des collaborateurs touchant le minimum légal aux revalorisations du SMIC.
  • Si un accord de branche ou d’entreprise prévoit un salaire minimum supérieur au SMIC, l’employeur doit également respecter ce plancher.
  • En présence d’une grille de classification ou d’un mécanisme d’augmentation régulier des augmentations (par exemple lié à l’ancienneté), l’employeur doit suivre ces augmentations conventionnelles.
  • La loi pose également le principe de l’égalité professionnelle, à savoir que deux collaborateurs occupant le même poste et affichant le même nombre d’années d’ancienneté et le même niveau de diplôme doivent toucher une rémunération équivalente.

Personne ne peut donc imposer à un employeur d’augmenter ses salariés. Par ailleurs, s’il ne souhaite pas revaloriser la rémunération de base, il peut choisir d’activer d’autres leviers pour renforcer le pouvoir d’achat de ses salariés :

  • Le versement de primes, à l’image de la prime de partage de la valeur, ex-prime Macron pérennisée par la loi pour la protection du pouvoir d’achat ;
  • La révision des accords de télétravail, pour permettre aux salariés de travailler davantage depuis chez eux et de réaliser, ainsi, des économies de carburant ;
  • Un supplément d’intéressement et de participation ;
  • L’augmentation de la part patronale sur la mutuelle ;
  • L’augmentation de la participation employeur sur les tickets-restaurant ;
  • Une prise en charge accrue des frais de déplacement domicile-travail.

De son côté, Total a mis sur la table des négociations, le 13 octobre, un bonus exceptionnel d’un mois de salaire pour l’ensemble de ses collaborateurs à travers le monde ainsi qu’une perspective d’augmentation salariale en 2023, basée sur l’inflation observée en 2022, d’environ 6%, en-deça des 10% réclamés par les grévistes.

Où en est-on du « dividende salarié » ?

Les salariés mobilisés pointent également du doigt le décalage entre la stagnation de leurs salaires et l’augmentation de 52% de la rémunération du PDG, l’an dernier, ainsi que le versement exceptionnel de 2,6 milliards d’euros aux actionnaires.

La question des écarts de rémunération entre dirigeants, actionnaires et salariés avait animé les débats de l’élection présidentielle, alors que le président-candidat, Emmanuel Macron, proposait la mise en place d’un « dividende salarié ». Le principe ? Obliger les entreprises de plus de onze salariés à reverser à leurs collaborateurs une participation correspondant à un pourcentage de leur résultat pour pouvoir verser un dividende à leurs actionnaires.

La mesure, proposée par Thibault Lanxade, semble avoir été enterrée pour l’heure. Elle n’a, en tout cas, pas été retenue dans la version finale de la loi pour la protection pour le pouvoir d’achat.

Bien s’équiper pour bien recruter