Ce que les employeurs doivent faire en cas de harcèlement sexuel

Le Défenseur des droits a publié une décision-cadre détaillant la procédure à suivre pour recueillir le signalement et mener une enquête interne en cas de discrimination ou de harcèlement sexuel.

Woman Defending Herself From Sexual Harassment By Boss
Les entreprises doivent mettre en place des dispositifs d’écoute et de recueil du signalement face aux situations de discrimination et de harcèlement sexuel. © Andrey Popov / Stock.adobe.com

Ces dernières années, dans la société comme dans les entreprises, la parole s’est libérée autour des violences sexistes et sexuelles, et les victimes d’agression ou de harcèlement sexuel au travail n’hésitent plus autant qu’avant à signaler les faits à la direction de leur entreprise. Dernièrement, c’est chez Air France que de nombreuses salariées ont fait état de violences sexistes et sexuelles récurrentes, parlant même d’une banalisation de ce type d’agression au sein de la compagnie aérienne.

Pour aider les employeurs à bien réagir en cas de discrimination ou de harcèlement sexuel au travail, le Défenseur des droits vient de publier une décision-cadre détaillant la procédure à suivre pour recueillir le signalement et mener une enquête interne.

Une obligation légale

Conformément à l’article L. 4121-1 et L. 1153-5 du Code du travail, les employeurs doivent prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Dans le cas où une situation de discrimination ou de harcèlement sexuel leur est signalée, la jurisprudence leur fixe l’obligation d’ouvrir une enquête interne.

Dans le secteur privé, un accord national interprofessionnel datant du 26 mars 2010 prévoit aussi la mise en place de procédures pour identifier et traiter les signalements. Dans la fonction publique, des dispositifs d’écoute et de signalement en matière de discrimination et de harcèlement dans les administrations sont également obligatoires. Mais concrètement, comment s’y prendre ?

Mettre en place des dispositifs d’écoute et de recueil du signalement

Pour permettre aux victimes de discrimination et de harcèlement sexuel de signaler les faits, les entreprises se doivent de mettre en place des dispositifs d’écoute et de recueil du signalement. Elles doivent aussi faire savoir en interne que ces dispositifs existent et indiquer la procédure à suivre pour signaler un fait.

Dans sa décision-cadre, le Défenseur des droits recommande que cette cellule d’écoute et ce dispositif de signalement soient facilement accessibles : email, adresse dédiée, téléphone, éventuellement chat en ligne et/ou accueil physique. « L’externalisation ou la mutualisation du dispositif ne devra pas imposer aux personnes qui le saisissent de devoir se déplacer dans une autre commune par exemple », précise l’autorité administrative indépendante.

Ils doivent aussi être accessibles à l’ensemble des agents et salariés (contractuels en CDD, CDI, fonctionnaires mais aussi intérimaires, stagiaires, apprentis, volontaires en service civique, bénévoles), qu’ils soient encore en poste ou non. A noter que les personnes qui la composent ne doivent pas avoir de lien direct ou indirect, présent ou passé, avec les personnes concernées par les faits signalés.

La cellule d’écoute a pour vocation, comme son nom l’indique, d’écouter la victime présumée ou le témoin d’une situation de discrimination ou de harcèlement sexuel, mais aussi de l’informer sur ses droits et de l’orienter vers des professionnels chargés de les accompagner ou de les soutenir. Le dispositif de signalement, lui, permet de signaler à l’employeur une situation, l’obligeant ainsi à traiter ce signalement en ouvrant par exemple une enquête interne.

Comment recueillir le signalement ?

Une fois le dispositif de recueil de signalement en place et la communication faite auprès des salariés de l’entreprise sur son existence, le Défenseur des droits recommande d’abord d’accuser réception du signalement et de demander à la personne de communiquer tout élément permettant d’appuyer son signalement et de faciliter l’éventuelle enquête (récit chronologique des faits, noms d’éventuels témoins, emails et messages…).

L’employeur ne doit pas négliger les signalements anonymes et doit le traiter en tenant compte de la gravité des faits signalés et du caractère exploitable des éléments transmis par l’auteur. Le dispositif de signalement doit aussi permettre de garantir la stricte confidentialité des informations recueillies.

L’ouverture d’une enquête interne

Suite au signalement, l’employeur peut prendre un temps de réflexion et de préparation. Mais l’enquête doit être ouverte dans un délai raisonnable après le signalement. Le Défenseur des droits recommande un délai ne dépassant pas 2 mois. L’ouverture de l’enquête interne ne doit pas être différée dans l’attente du résultat d’une éventuelle procédure pénale, civile ou administrative.

« L’employeur doit réagir dès le premier signalement de la victime présumée ou d’un témoin », rappelle la décision-cadre, selon laquelle le fait que la victime ou le mis en cause soit en arrêt maladie ou qu’ils aient quitté leur emploi ne doit pas empêcher l’employeur d’ouvrir une enquête interne.

La durée de l’enquête interne ne doit pas être excessive. Celle-ci doit être conclue « dans les plus brefs délais », indique le Défenseur des droits. Le Code du travail fixe à deux mois après la connaissance des faits le délai durant lequel l’employeur peut sanctionner l’auteur d’une faute disciplinaire. Dans le cas d’un signalement déclenchant une enquête interne, ce délai de deux mois peut courir à partir de la remise du rapport d’enquête à l’employeur.

Comment mener l’enquête interne

L’enquête interne doit se faire conformément à une méthodologie fixée en amont de façon précise et formalisée par écrit. Celle-ci doit être communiquée aux instances représentatives du personnel. Chaque étape de l’enquête doit être retranscrite par écrit afin qu’elle puisse être consultée a posteriori par la direction de l’entreprise voire même par les autorités compétentes, qu’il s’agisse de juges, de l’inspection du travail ou du Défenseur des droits.

La personne qui a signalé les faits, la victime présumée ainsi que la personne mise en cause doivent toutes être informées de l’ouverture de l’enquête interne, sauf s’il existe un risque de pression de la part du mis en cause sur les victimes présumées et/ou les témoins. L’ensemble des personnes concernées sont tenues à une stricte confidentialité, ce qu’il est conseillé de rappeler par écrit.

Pour que l’enquête soit impartiale, l’employeur doit bien évidemment s’abstenir d’exercer toute forme de pression sur l’enquêteur. Il est conseillé que l’enquête soit menée ou supervisée par au moins deux personnes, qui doivent être extérieures au service où se sont déroulés les faits. Dans certains cas, il est même recommandé de faire appel à un prestataire extérieur pour une plus grande impartialité.

Les enquêteurs devront auditionner la victime présumée, la personne mise en cause et les témoins jugés pertinents, y compris les responsables hiérarchiques directs de la victime présumée et de la personne mise en cause. Le Défenseur des droits conseille d’auditionner le mis en cause en dernier.

« La Défenseure des droits considère que les enquêteurs doivent s’attacher à recueillir le maximum d’éléments de nature à éclairer la réalité des faits, destinés à nourrir le faisceau d’indices. Elle souligne que les enregistrements clandestins ne doivent pas être écartés par principe et peuvent, dans les conditions rappelées ci-dessus, être pris en compte », indique encore la décision-cadre.

La rédaction d’un rapport d’enquête

Cette phase d’enquête se termine par la rédaction d’un rapport d’enquête qui expose les faits allégués et leur signalement, les mesures de protection mises en œuvre, les étapes de l’enquête, les difficultés rencontrées (refus d’audition, incohérences d’un témoignage…), les éléments de présomption recueillis, les justifications de la personne mise en cause, les propositions de qualification juridique des agissements dénoncés et les mesures de traitement de la situation proposées.

Si ce rapport d’enquête doit être conservé par l’employeur afin de préserver la confidentialité des informations qu’il contient, il est recommandé de remettre à la victime présumée une synthèse du rapport qui tient notamment compte des conclusions de l’enquêteur et des décisions prises ou envisagées à l’issue de l’enquête. La personne mise en cause et les témoins doivent aussi être informés de la fin de l’enquête.

Le Défenseur des droits rappelle dans sa décision que « les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives » et recommande d’informer les victimes de l’issue de la procédure disciplinaire.

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