Clément, RH et humoriste : « L’humour est un super véhicule pour parler des sujets de frustrations »
Dans ses spectacles de stand up, Clément Lemainque pointe les paradoxes du monde du travail en puisant son inspiration dans son quotidien de RH.
Humoriste et RH, il y a un rapport entre les deux ?
Clément Lemainque : J’aime bien raconter que quand j’étais RH, on me prenait pour un clown et que maintenant j’en suis vraiment un ! La fonction RH est fortement décriée, les gens se représentent souvent quelqu’un qui exécute les décisions, souvent impopulaires, de la direction auprès des salariés. On a tous en tête l’image du DRH d’Air France qui se fait arracher sa chemise. L’image est violente et extrême mais elle donne une idée de ce à quoi tu peux être confronté dans ce métier. On est un peu les boucs émissaires de l’entreprise et l’humour est un super véhicule pour parler de ça et, de manière plus générale, des sujets qui génèrent des frustrations.
Je trouve ça intéressant de parler sur scène du monde du travail et du métier de RH, qui est au centre de sujets qui cristallisent des émotions, des tensions dans l’entreprise. Quand on parle d’évolution de carrière, de salaire ou même de recrutement, on a tous vécu ou entendu des expériences catastrophiques. C’est important d’en parler et l’humour est le bon média parce que, finalement, mieux vaut en rire qu’en pleurer. Ce qui est chouette, c’est que l’humour a pas mal évolué ces dernières années : il est plus engagé et sert à mettre en exergue des sujets de fond comme les inégalités sociales, le réchauffement climatique…
Tu définirais ton humour comme engagé ?
C.L : J’ai envie de faire des sketchs engagés, mais je n’ai pas la prétention de dire que mon humour l’est déjà. J’aime pointer le paradoxe de certaines situations. Globalement, je trouve que questionner ces situations, c’est une forme d’engagement dans la mesure où on invite à la réflexion. Comme le fait de demander des références aux candidats en entretien que j’aime comparer à un date : est-ce que tu demanderais à la personne en face de toi le contact de ses ex pour qu’ils te parlent d’elle ? Ce serait tellement bizarre !
Quel l’épisode le plus comique que tu as vécu en tant que RH ?
C.L : On est confronté à pas mal de situations dingues. En recrutement, je me souviens d’un candidat qui m’a dit d’entrée de jeu ne pas être intéressé par le job mais qu’il avait besoin de renouveler son titre de séjour. Ça peut être un employé qui arrive pour son premier jour et qui n’a pas de bureau, pas d’ordi et son manager est en vacances. C’est l’absurdité de ces situations qui les rend comiques.
Raconte-moi une situation pro où tu t’en es sorti grâce à l’humour.
C.L : Je ne conseille pas forcément de faire de l’humour quand on est RH. C’est un métier où l’on fait face à beaucoup d’émotions et il ne faut pas donner l’impression qu’on les prend à la légère. Si un collaborateur est triste ou en colère, un mot d’humour peut être mal interprété. Il faut aussi l’éviter dans des situations asymétriques, comme un entretien de recrutement, car ça peut être perçu comme de la moquerie. C’est le recruteur qui a le pouvoir décisionnel. Je trouve ça sain que la mode des entretiens où tu essayais de mettre le candidat en difficulté (avec des questions du genre : « Combien de balles de ping-pong peut-on mettre dans une cabine téléphonique ») soit passée, parce que ça mettait simplement le candidat mal à l’aise et ça ne présumait en rien de sa performance future à un poste.
En revanche, j’ai souvent recours à l’humour dans le cadre de mes cours ou de mes conférences. Le ludique et l’émotion créent des ancrages mémoriels, donc c’est bien de les mobiliser dans les parcours de formation.
Quelles sont les compétences clés à avoir, d’après toi, pour faire du stand up ?
C.L : Evidemment, ça aide d’avoir de l’aisance à l’oral, même si beaucoup d’introvertis font du bon humour. Mais je pense que l’intelligence émotionnelle et la capacité d’écoute sont encore plus importantes, comme chez les RH en fait. Savoir s’adapter à son public, adapter le choix de ses sketchs aux réactions des spectateurs, être capable de rire d’une blague qui a fait un bide, d’improviser si un spectateur a tiqué sur une vanne. Rebondir aussi sur les sketchs des comédiens qui sont passés avant toi.
C’est quoi le pire : être un RH qui joue au guignol ou un humoriste qui se prend trop au sérieux ?
C.L : Un humoriste qui se prend trop au sérieux, les spectateurs se moqueront peut-être un peu de lui, l’oublieront et, au pire, n’iront plus le voir. Fin de l’histoire. Un RH qui joue au guignol, c’est beaucoup plus grave. C’est un métier trop important pour être fait en dilettante, sans respecter les limites du cadre professionnel. Par exemple, si un RH divulgue des informations confidentielles lors d’un afterwork trop arrosé, ça peut avoir de lourdes conséquences.
Quel est le cliché qui t’énerve le plus sur les RH ?
C.L : Qu’on ne fait que virer des gens. C’est fatiguant, parce qu’en réalité on embauche bien plus de personnes qu’on en licencie. Et puis j’ai l’impression que quand on nous pose la question de savoir si on a déjà viré des salariés, il y a cette même curiosité morbide que celle qui nous pousse à regarder des documentaires sur les tueurs en série. C’est assez malsain.
De quoi parles-tu dans ton spectacle ?
C. L : Je parle principalement du monde du travail et du métier de RH : du recrutement, de l’image du métier, des moments clés du parcours collaborateur…mais il m’arrive aussi d’écrire des sketchs sur ma vie, sans lien avec le monde du travail. J’ai pas mal d’autodérision par rapport à mon image, à mon physique, à mes expériences personnelles. J’aimerais aussi écrire sur l’enseignement, la relation entre les étudiants et les enseignants, l’utilisation de ChatGPT par les étudiants…ce sont des choses qui arrivent !
Qu’aimerais-tu que les gens disent après avoir vu ton spectacle ?
C. L : Je ne suis pas là pour leur apporter des réponses, mais plutôt pour soulever des questions, faire rire de certaines situations. J’aimerais que les spectateurs se disent : « C’est vrai que ce qui m’a fait rire, c’est ce décalage, ce côté absurde », et se demandent si ce décalage a du sens. Si mon spectacle pousse des gens à questionner leurs pratiques en entreprise, à revenir vers un peu plus de simplicité et moins de bullshit, ce serait déjà chouette.
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Clément Lemainque
DRH à temps partagé, conférencier, formateur et humoriste
Fort d’une expérience de dix ans dans les RH, Clément Lemainque est passé par plusieurs entreprises du divertissement et de l’IT. Il a également été responsable de l’ensemble de la communauté de start-up du Lab RH pendant deux ans et demi. Il est aujourd’hui DRH à temps partagé, formateur, conférencier et humoriste.