«Les DRH doivent faire bouger les lignes sur les sujets de société»
Acculturation à l’IA, collaboration multigénérationnelle, santé mentale… La DRH d’AXA France, Amélie Watelet, détaille ses grands enjeux du moment.

Quels sont vos projets de recrutement pour fin 2025 et début 2026 ?
Amélie Watelet : AXA France poursuit sa dynamique de croissance à un rythme soutenu, notre intention est de continuer à conquérir de nouvelles parts de marché. Nous devrions atteindre les 6 000 recrutements d’ici fin 2025 et nous poursuivrons un objectif stable en 2026. Nous recrutons principalement sur les métiers commerciaux, ceux de l’assurance et des experts de l’intelligence artificielle et de la data.
Quel est votre principal défi RH en 2026 ?
A. W. : Accélérer notre transformation en intégrant de mieux en mieux l’IA à nos process. Nous devons poursuivre l’acculturation de nos équipes à cette technologie, tout en respectant nos engagements RSE et un cadre éthique clair. Nous avons initié, il y a un an et demi, un grand programme IA, NADiA, accessible à l’ensemble des salariés, dont l’objectif est d’identifier des cas d’usage. Plus de 1 500 formations IA ont déjà été suivies cette année. Ce programme entre dans une nouvelle phase en 2026, avec un renforcement de la formation des collaborateurs pour accompagner leur montée en compétences.
En parallèle, l’intelligence artificielle est également un enjeu fort de dialogue social : nous avons signé un accord inédit avec les partenaires sociaux sur le déploiement de l’IA. Nous travaillons main dans la main sur le choix des outils utilisés, le respect de nos valeurs d’égalité des chances et de prise en compte de l’impact environnemental. Nous partageons les expérimentations et nous formons les élus pour favoriser leur compréhension de l’impact de l’IA sur l’ensemble de nos métiers.
Quel impact a précisément l’IA sur votre quotidien de DRH ?
A. W. : C’est sans doute sur la fonction recrutement que l’IA nous fait gagner le plus de temps aujourd’hui, que ce soit pour élaborer des comptes-rendus d’entretien ou pour faciliter la rédaction des offres d’emploi. Nous sommes aussi en train d’étudier la création de supports texte et vidéo pour des modules de formation. Enfin, l’IA peut nous être précieuse dans l’exploitation des données RH ; la fonction RH est authentiquement data-driven. L’IA peut nous permettre d’anticiper davantage et de mettre en œuvre de meilleurs dispositifs de prévention, par exemple, en analysant les chiffres de l’absentéisme.
AXA France a lancé une campagne « Les compétences au-delà des apparences » en mai dernier. Pourquoi est-ce important de s’engager, en tant qu’employeur, sur les sujets de diversité et d’inclusion ?
A. W. : Dans le contexte actuel, il est bon de rappeler notre engagement historique pour la diversité et l’inclusion. Il a été matérialisé par le fondateur de notre groupe, Claude Bébéar, qui a été l’un des artisans de la charte de la diversité [une charte qui compte aujourd’hui plus de 5 000 signataires engagés dans la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité dans leur organisation]. Notre conviction est qu’un employeur doit être présent pour accompagner ses collaborateurs dans les moments de vie qui comptent. Nous avons une responsabilité pour soutenir, entre autres, les personnes en situation de handicap, les aidants ou bien encore les victimes de violences intrafamiliales.
On peut rester soi-même chez AXA France. C’est ce qu’affirme haut et fort la campagne « Les compétences au-delà des apparences », dans laquelle plusieurs collaborateurs prennent la parole pour témoigner de leur situation et illustrer concrètement nos engagements en matière d’égalité des chances.
Vous affichez également votre soutien pour la campagne gouvernementale pour booster l’emploi des 50 ans et plus. Qu’avez-vous mis en place à l’échelle de votre entreprise pour favoriser l’accès et le maintien dans l’emploi des seniors ?
A. W. : Les stéréotypes qu’on entend sur l’âge dans la vie de tous les jours, on les entend aussi en entreprise. Au sein de nos équipes, près de 40% des collaborateurs ont plus de 50 ans, ce sujet est central pour nous. Tous nos collaborateurs de plus de 50 ans peuvent bénéficier de bilans de santé ou de dispositifs adaptés aux difficultés qu’on peut rencontrer dans une vie, comme lorsque l’on devient aidant d’un parent ou d’un conjoint.
En 2023, c’est pour lutter contre les idées reçues que nous avons lancé, le programme « L’Audace n’a pas d’âge ». Nous avons d’abord réalisé un diagnostic pour quantifier la part de 50 ans et plus qui ont bénéficié d’une formation, d’une mobilité ou d’une augmentation dans l’année, et nous communiquons ces données de manière totalement transparente. Près de 97% de nos collaborateurs de plus de 50 ans ont suivi une formation non-obligatoire. En parallèle, nous avons également enregistré plusieurs podcasts avec des personnalités (David Douillet, Valérie Damidot, La Grande Sophie…) qui sont venues raconter leur expérience, leur capacité à se réinventer et montrer qu’après 50 ans, tout est encore possible. Enfin, nous avons déployé une campagne de communication interne avec des verbatims de nos collaborateurs pour dénoncer les stéréotypes, et, au contraire, valoriser leur place dans le collectif. L’expérience ouvre de nouvelles opportunités. La signature de la charte pour l’emploi des 50 ans et plus du Club Landoy, avec le ministère du Travail, est le reflet de nos engagements.
Constatez-vous des différences entre les attentes des seniors vis-à-vis de leur employeur et celles des jeunes générations ?
A. W. : Je ne crois pas aux approches qui consistent à mettre les gens dans des cases. Tout le monde aspire à trouver un sens dans ce qu’il fait, un juste équilibre de vie et à vivre ensemble : ces préoccupations sont transgénérationnelles !
Avez-vous mis en place des initiatives pour renforcer les liens intergénérationnels ?
A. W. : Quatre générations travaillent déjà ensemble au quotidien chez AXA France, et chacune a sa place. Nous formons les managers pour faciliter la collaboration et la gestion au sein d’équipes multigénérationnelles. Nous mettons également en œuvre des actions pour favoriser la transmission, comme des workshops ou des programmes de mentorat.
Vous avez fait de la santé mentale de vos collaborateurs une priorité bien avant que le gouvernement ne l’érige en grande cause nationale 2025. Quelles mesures avez-vous mises en place ?
A. W. : Nous avons été une des premières entreprises à créer un réseau de secouristes en santé mentale. En lien avec PSSM France [l’association française de Premiers Secours en Santé Mentale], les collaborateurs sont formés pendant deux jours à reconnaître les signaux faibles de détresse psychologique. Nous avons d’abord formé les RH, les membres des services de santé au travail et les partenaires sociaux, puis nous avons ouvert la formation à tous les collaborateurs volontaires. D’ici la fin de l’année, 400 salariés auront été formés. Ce réseau de secouristes joue un rôle de veille et d’écoute essentiel pour les collaborateurs en difficulté.
Nous avons également voulu donner les clés à nos collaborateurs pour mieux comprendre la notion même de santé mentale. Toutes nos équipes doivent suivre une formation spécifique, l’Odyssée de la santé mentale. Celle-ci explique notamment les différences entre stress, burn out, anxiété, dépression, détaille les différents symptômes de ces maux, comment les prévenir et comment être accompagné par des professionnels de santé.
Assurances, médias, énergie, retail… Vous avez exercé votre métier dans de nombreux secteurs d’activité. Ces changements de contexte vous ont-ils amenée à exercer différemment votre métier ou reste-t-il toujours le même ?
A. W. : Le grand trait commun, c’est que le rôle des RH est de réussir à conjuguer l’humain et la technologie au service de la performance des entreprises. Il ne faut pas craindre les évolutions tech. Nous le vivons aujourd’hui avec l’IA. Je l’ai vécu chez Radio France avec le passage au numérique qui s’est accompagné d’une évolution des métiers et des compétences de la radio. Dans n’importe quel contexte, la clé passe par le dialogue, l’éducation et le pragmatisme. Il faut comprendre ces technologies, expliciter, donner du sens en montrant en quoi elles peuvent apporter des évolutions sur les modes de travail au bénéfice des clients et des salariés. Le métier des ressources humaines est un métier clef dont le rôle est de contribuer à accompagner ces transformations.
Si vous deviez résumer la fonction de DRH en 3 mots…
A. W. : Le dialogue est essentiel. C’est à travers la qualité de leur écoute et de leurs échanges que les DRH créent de l’engagement, accompagnent le changement, cultivent la confiance et peuvent également contribuer à apaiser d’éventuelles craintes. Le deuxième mot que je choisirais est celui de proximité : être en prise avec le réel et nouer des partenariats qui résonnent avec le quotidien des collaborateurs, des managers, des équipes RH… Enfin, l’innovation sociale est au cœur de la fonction. Il faut oser faire bouger les lignes sur les sujets sociétaux, comme le multigénérationnel, les aidants ou les violences intra familiales.
Que peut-on vous souhaiter pour 2026 ?
A. W. : Comme le dit mon fils, continuer à kiffer ! C’est un métier formidable.