Augmenter un salarié pour le retenir : bonne ou mauvaise idée ?
Le match RH. Alexis Manso, Head of Compensation & Benefits chez OVHcloud, et Mariabrisa Olivares, Chief People Officer chez Owkin, échangent leurs points de vue.
Avez-vous déjà pris la décision d’augmenter un collaborateur pour le retenir dans votre entreprise ?
Mariabrisa Olivares : Je l’ai déjà fait pour quelques collaborateurs qui me disaient avoir de meilleures opportunités de rémunération ailleurs et qu’on jugeait exceptionnels ou critiques pour notre stratégie. Chez Owkin, nous sommes spécialisés dans l’identification par l’IA de traitements pour certaines maladies, principalement le cancer. Nous employons donc pour l’essentiel des Data Scientists, des ML Engineers, des Resarch Scientists, qui sont des profils très convoités par la concurrence et dont les compétences sont très spécialisées. On sait que ce sont des profils compliqués à trouver et on essaie de les garder.
Alexis Manso : J’ai déjà été amené à le faire, mais je ne suis pas en adéquation avec cette pratique. Augmenter un salarié pour le retenir, c’est un peu comme si on traitait le symptôme et pas la maladie. Ce n’est pas parce qu’on augmente un salarié que l’on gomme tous ses problèmes. Un salarié part rarement uniquement à cause de l’argent. Dans le meilleur des cas, on achète du temps. Ça peut être un quick win, si on a besoin de sécuriser l’activité quelques mois, le temps d’une passation, par exemple, mais ce n’est pas une solution de long terme.
Quelles ont été les conséquences de ce geste ?
M.O : Souvent, les personnes qui ont été augmentées sont restées. Mais la rémunération seule ne suffit pas. Elle doit toujours se faire en conjonction avec d’autres éléments : proposer au salarié un autre rôle, l’aider à se projeter dans l’entreprise en l’accompagnant pour développer ses compétences, lui confier des responsabilités…
Parfois, ça ne fonctionne pas. Je me souviens d’un collaborateur qui venait d’un GAFAM : il s’est joint à nous par volonté d’avoir plus d’impact et d’autonomie. Il a grandi dans son poste, puis est devenu manager. Au bout de trois ans, cette même entreprise GAFAM est revenue vers lui avec une offre de rémunération beaucoup plus intéressante. On lui a fait une contre-proposition un peu en-deçà et on espérait le retenir en lui proposant un nouveau challenge. Mais il est parti. Au-delà de l’argument financier, ce qui a joué, c’est le fait d’avoir moins de pression et un meilleur équilibre vie de famille/travail.
A.M : Ce qui est complexe, c’est que les aspirations des gens évoluent au cours de leur vie. Tu as beau mettre un paquet d’argent sur la table, parfois ça ne suffit pas car le collaborateur traverse une étape où ce n’est plus sa priorité.
Faut-il chercher à garder ses talents stratégiques à tout prix ?
A.M : Je n’aime pas le mot « retenir » parce qu’il connote une notion de contrainte. Je lui préfère celui de fidélisation ou de loyauté. C’est important de ne pas faire miroiter des promesses sans les tenir. Si on peut proposer au collaborateur ce qu’il recherche en interne, tant mieux, mais s’il a trouvé à l’extérieur quelque chose qui lui correspond mieux, il faut savoir le laisser partir, sans finir sur une note amère. Car cette personne restera votre ambassadeur, même après avoir quitté l’entreprise. Et elle peut revenir. Nous avons plusieurs salariés boomerang chez OVHcloud. Lorsque des collaborateurs partent, nous leur proposons de maintenir le lien, de venir prendre un verre de temps en temps avec leurs collègues, par exemple.
M.O : Que l’on se sépare ou pas du collaborateur, la clé est d’avoir une discussion transparente avec lui : lui dire sur quels points on peut répondre à ses attentes, sur quels points on ne peut pas. C’est essentiel pour nourrir une relation de confiance. Certains sont partis d’Owkin pour fonder leur propre boîte : il ne faut pas le voir comme un échec, mais célébrer avec eux leur croissance. On embauche des collaborateurs très jeunes. Inévitablement, à un moment, ils voudront partir, c’est important de le normaliser et aussi de le célébrer.
Quels sont les risques d’augmenter une personne pour la retenir ?
A.M : Le principal risque est celui de détériorer l’équité interne. On donne l’impression que c’est celui qui crie le plus fort qui gagne plus d’argent et que si on ne dit rien, on n’est pas augmenté. Ce n’est pas juste. C’est pour cela que c’est important que les managers soient capables d’expliquer à leurs équipes en fonction de quels critères ils attribuent telle ou telle augmentation, et la future loi sur la transparence des rémunérations va nous pousser à le faire davantage encore. Le principal écueil à éviter, c’est que le collaborateur découvre sur son bulletin de paie qu’il n’a pas été augmenté.
M.O : Je suis d’accord. A l’échelle de l’entreprise, je fais, chaque année, une présentation du budget qui a été fixé pour les augmentations et des critères d’attribution de celles-ci. On ne communique par les fourchettes salariales à tout le monde, mais on communique la moyenne d’augmentation par département, le taux de promotion, la moyenne d’augmentation pour les femmes et les hommes.
De manière plus générale, quels sont, selon vous, les ingrédients d’une bonne politique de rémunération ?
A.M : Elle doit être le reflet de votre identité, de vos valeurs, de votre culture d’entreprise. La liberté est une notion clé chez OVHcloud, nous avons donc opté pour la flexibilité en laissant aux collaborateurs le choix de leur format de rémunération. Nous avons trois piliers :
- Les basiques : salaire de base / les bonus / la mutuelle / la prévoyance.
- Les éléments « lifestyle » : des éléments à disposition dont le collaborateur choisit de bénéficier ou non : places en crèche, titres-restaurant, sport, conciergerie…
- La reconnaissance : de la performance collective sous forme d’intéressement, que le collaborateur peut percevoir en cash, en actions d’entreprise ou un mix des deux (quel que soit son pays de résidence), en reconnaissance de son ancienneté par un système de points (des Kudos), dont la valeur dépend du niveau de vie dans le pays où il travaille, et qui donnent accès à du cash, des cartes cadeau, des actions OVHcloud ou un mélange des trois.
M.O : De notre côté, on met l’accent sur des salaires de base très attractifs et sur l’equity qui est lié à la performance. Quand on travaille dans une start-up, c’est très important de pouvoir profiter de la valeur créée. On propose aussi tout un panel d’avantages liés au care, qui peuvent aider l’employé de manière holistique : politique parentalité, services de santé mentale, learning week…
Mariabrisa Olivares
Chief People Officer chez Owkin
Dotée d’une large expertise internationale des RH, Mariabrisa Olivares a notamment fait ses armes au Brésil chez Danone, CGS International et The Walt Disney avant de rejoindre King à Londres puis Ogury à Paris. Aujourd’hui, elle est Chief People Officer d’Owkin.
Alexis Manso
Head of Compensation & Benefits chez OVHcloud
Après avoir commencé sa carrière dans le contrôle de gestion sociale au sein de grands groupes pour lesquels il structure la fonction en France et à l’international, Alexis Manso rejoint Ovhcloud en 2015 pour créer le département C&B regroupant les activités paie, contrôle de gestion sociale, total rewards, SIRH, process et data HR. Membre actif de la communauté RH, il intervient également sur des parcours d’expertise auprès d’écoles et de diverses associations.