6 conseils aux RH pour accompagner un salarié atteint d’un cancer

Alors que se tient ce mois-ci l’opération Octobre Rose en faveur du dépistage du cancer du sein, découvrez les recommandations de deux chercheuses pour bien accompagner vos collaborateurs dans un moment de vie particulièrement sensible.

6 conseils aux RH pour accompagner un salarié atteint d’un cancer_orawan
Chaque année, en France, 160 000 personnes en activité apprennent qu’elles sont atteintes d'un cancer. © orawan / stock.adobe.com

Chaque année, plus de 400 000 personnes apprennent qu’elles ont un cancer. Parmi elles, 40 % sont en activité, et la question du travail devient rapidement un sujet : comment poursuivre, interrompre ou reprendre son emploi dans une situation de vie aussi bouleversante ?

Pour aider les services RH, deux expertes, Rachel Beaujolin, professeure et chercheuse à NEOMA, et Pascale Levet, professeure associée à l’IAE Lyon et déléguée générale du Nouvel Institut, ont mené cinq années de recherche-action dans 25 entreprises et collectivités. Voici les bonnes pratiques qu’elles en retiennent.

1. Penser le temps long

Pour les entreprises, le sujet reste délicat. Trop souvent, l’accompagnement se concentre sur le moment du retour, avec un entretien de reprise ou un aménagement ponctuel. Mais, comme le rappelle Pascale Levet, « tout se joue sur le temps long, un temps marqué par l’incertitude. Et ce temps ne démarre pas à la reprise, mais dès l’annonce de la maladie ».

RH et managers doivent changer de regard. « L’étude VICAN5 de l’Institut national du cancer (INCA) montre que 64 % des personnes attestent de séquelles cinq ans après le diagnostic d’un cancer : cognitives, de fatigue, de stress post-traumatique… C’est une épreuve de vie qui transforme profondément les individus, leur rapport au travail, à eux-mêmes, à la performance. Il n’existe donc pas de “mode d’emploi” universel. Il faut construire les conditions du retour en situation réelle, en expérimentant », explique Rachel Beaujolin.

Pour les RH, cela suppose de mettre en place un accompagnement progressif, jalonné de plusieurs étapes : au moment de l’annonce, pendant le traitement, lors du retour, et bien après. « C’est ainsi que les collaborateurs peuvent retrouver un équilibre, renforcer leur performance et leur robustesse, et redevenir de bons professionnels », souligne Pascale Levet.

2. Mettre au centre la situation de travail, non la personne

Aujourd’hui, par bienveillance, beaucoup d’entreprises ont le réflexe d’« hyper-personnaliser » les accompagnements. Or, pour Pascale Levet, cette logique a ses limites : « Elle finit par mettre en concurrence les situations, entre “ceux qui ont un cancer”, “ceux qui ont des addictions” ou d’autres épreuves de vie. Il faut dépersonnaliser les approches, sans les déshumaniser. Autrement dit, mettre la situation de travail au centre, et non la personne. »

Pour les RH, le sujet ne doit pas être traité sous l’angle clinique ou émotionnel, mais comme « une question de gestion du travail, qui implique la personne, son manager, le collectif, l’activité… ». Il ne s’agit pas de soigner un individu, mais de comprendre comment l’exercice d’un métier peut s’organiser autour d’un contexte donné.

3. Sortir de l’« impensé » et de la « bien-pensance »

« On sait penser la maladie, par l’arrêt de travail notamment, mais on ne sait pas penser le travail avec la maladie », observe Pascale Levet. C’est là l’un des grands angles morts des politiques RH. On analyse souvent les comportements (« il est fatigué », « elle pleure beaucoup »), au lieu d’examiner les conditions concrètes d’exercice du travail.

Un exemple ? Celui d’une assistante de direction revenue après un long arrêt : « Son manager disait qu’elle pleurait souvent et la jugeait fragile. Tout le monde s’accordait sur le besoin de la “soutenir émotionnellement”, raconte Pascale Levet. Mais lorsqu’on a discuté avec elle, elle n’a pas parlé de ses émotions : elle parlait de son travail. Être assistante de direction, c’est être interrompue sans cesse. Or, après sa maladie, elle n’y arrivait plus, ce qui la déstabilisait profondément. Ses pleurs n’étaient donc pas le signe d’une fragilité émotionnelle, mais le symptôme d’une situation de travail devenue intenable. Ce dont elle avait besoin, ce n’était pas de soutien psychologique, mais que son activité soit repensée, par exemple en étant un peu moins interrompue. »

La réponse ne doit pas être thérapeutique, mais organisationnelle : ajuster les modes de communication, redéfinir les priorités, protéger les temps de concentration.
Pour les chercheuses, c’est cette compétence d’analyse du travail réel qu’il faut réhabiliter. Parce que la santé au travail se joue d’abord dans le travail.

4. Créer des espaces de discussion continus sur le travail

Reprendre le travail après un cancer confronte souvent à un double défi : les capacités ont parfois changé, mais le désir de retrouver un rôle professionnel reste fort.
Pourtant, les entreprises manquent souvent d’espaces où parler de ce qui se joue concrètement dans l’activité. « Il faut des discussions régulières : avant le départ, pendant l’absence, avant le retour, et plusieurs fois après », insiste Rachel Beaujolin.

Ces échanges permettent d’ajuster progressivement les conditions de travail : charge, rythme, missions, horaires… et d’éviter les ruptures ou les décrochages. Ils peuvent prendre la forme d’entretiens tripartites (RH, manager, salarié), de points collectifs ou encore de groupes de travail. « La maladie s’inscrit dans la durée, et la reprise n’est pas un événement ponctuel. C’est un processus, avec des hauts et des bas. On ne peut pas se contenter d’un simple entretien au moment du retour », rappelle Rachel Beaujolin.

Ces espaces de dialogue deviennent le cœur d’un accompagnement soutenable : un lieu où le salarié peut formuler ce qui fonctionne, ce qui ne tient plus, et où le collectif peut s’ajuster en conséquence. Et surtout, « personne ne sait à leur place. Les personnes qui reprennent après un cancer développent des savoirs d’expérience : elles comprennent mieux leurs limites, leurs ressources, leurs rythmes. Ce sont des savoirs personnels, mais extrêmement précieux », ajoute Rachel Beaujolin.

5. Adopter une méthode d’observation et d’expérimentation

Accompagner un salarié atteint d’un cancer ne consiste pas à appliquer une grille ou un protocole : c’est apprendre à observer, comprendre et ajuster. C’est tout le sens du « groupe miroir » que les chercheuses recommandent aux entreprises. « Ce groupe doit rassembler des profils variés : des personnes de la santé, du social, des RH, des managers, des salariés qui ont été malades. L’idée, c’est d’avoir un regard croisé sur les situations », explique Rachel Beaujolin.

Une fois le groupe formé, les membres réfléchissent à ce qu’est un travail constructeur de santé, puis vont sur le terrain, au contact des situations réelles, pour observer et apprendre des personnes qui travaillent avec ou après un cancer. Et c’est souvent là qu’a lieu une prise de conscience : « Dans beaucoup de cas, les membres du groupe réalisent qu’ils ont posé des questions sur la maladie, mais très peu sur le travail lui-même », note la chercheuse.

L’enjeu est donc de déplacer la focale : moins sur la pathologie, plus sur l’activité, en s’appuyant sur quelques questions simples :

  • A-t-on mobilisé toutes les ressources disponibles ?
  • La personne dispose-t-elle de suffisamment de latitude pour ajuster son activité ?
  • Le collectif a-t-il les moyens de soutenir dans la durée ?

Cette approche progressive redonne aux acteurs RH et managériaux une compétence essentielle : celle d’interroger le travail pour le rendre soutenable, aujourd’hui et demain. « Car c’est en observant, en expérimentant et en ajustant qu’on apprend à faire mieux », résume Pascale Levet.

6. Penser le travail « comme après » et non plus « comme avant »

Le concept est fort : « Le travail “comme après”, ce n’est pas le travail “comme avant” », rappelle Rachel Beaujolin. Reprendre après un cancer, c’est entrer dans un nouvel équilibre, où la santé et la performance se reconstruisent ensemble, dans l’incertitude, le dialogue et l’ajustement.

« L’entreprise humaine n’est pas celle qui met les gens au centre, mais celle qui met les situations au centre », ajoute Pascale Levet, avant de conclure : « C’est dans le travail, dans la manière de le penser, que se joue la véritable responsabilité sociale de l’entreprise. »

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