Vie de RH : « Le jour où un collaborateur nous a dit qu’il allait mettre fin à ses jours »

Violente, l’expérience racontée par Thibault Badin l’est. De nombreux RH sont pourtant confrontés à ces situations de détresse extrêmes au cours de leur carrière. Comment réagir pour éviter le pire ?

"Quand on passe de la théorie froide du droit du travail à l’expérience de la détresse humaine, ça fait un choc !"
"Quand on passe de la théorie froide du droit du travail à l’expérience de la détresse humaine, ça fait un choc !" © HelloWork

« Alors que je viens d’arriver dans une nouvelle entreprise, une rixe éclate entre deux salariés. Les insultes fusent, le ton monte, l’un d’eux menace l’autre assez violemment. Nous les mettons à pied, le temps que le CHSCT mène l’enquête. Celle-ci établit que les faits sont graves. Le salarié auteur des menaces a déjà un dossier disciplinaire, il peut récidiver. Nous n’avons pas d’autre choix que de le licencier, ne serait-ce que pour assurer aux collaborateurs qui ont assisté à la scène qu’ils peuvent venir travailler en toute sécurité. »

«  À la moindre erreur, les conséquences auraient pu être dramatiques »

« Il nous dit alors que si on le licencie, il se suicidera et il nous explique comment il s’y prendra. Nous prenons sa menace très au sérieux et nous prenons toutes les précautions nécessaires. Le jour où la notification de licenciement est envoyée par courrier, nous prévenons sa famille et nous l’appelons directement pour le rassurer et lui dire qu’on va l’accompagner pour retrouver un travail. »

« Le collaborateur nous redit qu’il n’est pas d’accord avec cette décision. Mais je pense que le fait qu’on ait essayé de l’accompagner pour retrouver un emploi l’a aidé à ne pas passer à l’acte. On a été très soulagé. À la moindre erreur de notre part, les conséquences auraient pu être dramatiques. On s’est dit qu’on avait agi comme il fallait, que, quelque part, on avait sauvé une vie. »

« Quand on passe de la théorie froide du droit du travail à l’expérience de la détresse humaine, ça fait un choc ! On apprend que tout n’est pas écrit et on s’aperçoit vite que ce ne sont pas des ‘’ressources’’ qu’on gère mais des Hommes dans toute leur singularité, des personnes qu’on se doit d’essayer de comprendre et d’accompagner. »

« Il faut toujours prendre au sérieux un salarié qui exprime son mal-être »

« Depuis cet épisode, j’ai été confronté à d’autres menaces de suicide. L’isolement lié à l’essor du télétravail a fait éclore de nombreuses situations de détresse psychologique qu’on doit savoir déceler pour y apporter une solution. Chaque cas est différent, mais il faut toujours prendre au sérieux un salarié qui exprime son mal-être. Il faut être conscient que ces menaces sont des appels à l’aide. La personne vous envoie des signaux et il est encore temps d’agir. »

« Il faut l’écouter, l’orienter, informer la médecine du travail et ne pas hésiter, si on pense que les menaces sont sérieuses, à alerter les secours. La plupart des mutuelles proposent aussi une assistance psychologique à distance, gratuite et anonyme. C’est également important de communiquer régulièrement sur les différents canaux d’alerte existants à disposition des salariés :  les RH, les managers, les élus du personnel, le CSE [qui a repris, entre autres, les prérogatives de l’ex-CHSCT], le médecin du travail. »

« Les RH ne doivent pas se substituer aux médecins »

« Côté RH, on doit montrer que l’employeur est présent et remplit son rôle de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Mais on ne doit pas se substituer aux médecins. Notre rôle n’est pas de régler les problèmes personnels psychologiques des salariés, on peut simplement les aider à trouver les moyens de s’en sortir. »

« Ce n’est pas simple, mais c’est important de se protéger aussi, de maintenir la frontière entre notre vie pro et notre vie perso. Si on va trop loin, si on entre trop dans l’intimité de la personne qui souffre et que ça finit mal, on pourrait nous le reprocher. Autant que possible, il faut essayer de ne pas se laisser submerger par des émotions qui pourraient fausser notre jugement. Même si on doit faire preuve d’empathie et se mettre à la place du collaborateur pour savoir ce qu’il a besoin d’entendre à ce moment-là. »

Après des études en droit du travail et en gestion des ressources humaines, Thibault Badin a travaillé successivement comme assistant RH, puis chargé des ressources humaines dans l’industrie ferroviaire avant de rejoindre Linxens, à un poste de Groupe HR Manager, puis de DRH France depuis 2020.

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