Vie de RH : « Le jour où j’ai décidé de jouer cartes sur table avec les syndicats »

Muriel Bolteau raconte comment un discours transparent avec les partenaires sociaux lui a permis de mener à bien un plan de reprise d’entreprise particulièrement ardu.

"Partager des informations aux syndicats et aux managers en amont a pour avantage d’éviter les mauvaises surprises, le sentiment de se faire avoir ou qu’il y a des sujets cachés."
"Partager des informations aux syndicats et aux managers en amont a pour avantage d’éviter les mauvaises surprises, le sentiment de se faire avoir ou qu’il y a des sujets cachés." © HelloWork

« Je me suis dit que j’allais apprendre énormément »

« En 2014, je travaille au sein d’un groupe de grande distribution et la direction générale du Groupe vient me chercher pour gérer la reprise d’une autre enseigne. C’est la première fois que j’ai de telles responsabilités en tant que DRH. Six mois avant de me lancer dans cette aventure, on m’avait expliqué que je n’occuperais jamais un poste de DRH parce que je n’avais pas d’expérience dans les relations sociales. J’accepte de relever ce défi comme un joli pied-de-nez aux idées reçues ! Je savais que ça allait être difficile mais je me suis dit que j’allais apprendre énormément. Je n’avais rien à perdre. »

« Je prends mes fonctions le 1er janvier 2014. J’ai devant moi 10 000 personnes : des collaborateurs magasins, entrepôts, siège et des syndicats au niveau local et national. J’ai pour mission d’intégrer au sein du groupe de distribution cette enseigne en intégrant aussi des fermetures de sites, des suppressions de poste, des relocalisations de sièges etc…. Le président me fixe comme objectif de réussir cette transformation en deux ans, dans un climat apaisé, sans retombées médiatiques négatives. Le contrat me semble impossible à remplir, car différents PSE ont déjà échoué, et l’avenir pour les équipes est gris. »

« La stratégie du off a changé ma vie de DRH ! »

« J’organise mes premiers rendez-vous avec les syndicats en essayant de suivre un modèle très respectueux de protocole, du cadre réglementaire et de confidentialité assez traditionnelle dans les relations sociales classiques : ne pas dévoiler d’informations aux syndicats avant les instances, appliquer à la lettre les procédures… En 2014, les RH en France avaient très peur du délit d’entrave [une atteinte de l’employeur à l’exercice du droit syndical] et préféraient garder les informations confidentielles jusqu’aux instances. Ce qui avait pour effet de déstabiliser les managers et les partenaires sociaux, ne favorisait ni la pédagogie, ni les échanges, ni la co-construction. »

« Je sens que ça ne prend pas. Arrivent l’avocat et l’expert-comptable des syndicats. Ils m’expliquent que toute la stratégie d’une entreprise pour faire passer des projets repose sur la stratégie du off, cette idée de reconnaitre chaque partie, de dealer en amont avec les partenaires sociaux, d’être dans une culture de la transparence et de l’honnêteté, de les considérer, de les respecter dans leurs objectifs et leur rôle. Je l’ai mise en place et elle a changé ma vie de DRH ! »

« Considérer les syndicats comme des partenaires »

« Partager des informations aux syndicats et aux managers en amont a pour avantage d’éviter les mauvaises surprises, le sentiment de se faire avoir ou qu’il y a des sujets cachés. Ça a changé la donne. Au point qu’on a respecté le délai des deux ans, eu aucun problème médiatique et reçu un soutien de la part des syndicats auprès de l’inspection du travail. »

« Considérer ses syndicats comme des partenaires et non comme des empêcheurs de tourner en rond a été le meilleur moyen de valider ce plan. Ils ont été associés à chaque étape. On a joué cartes sur table avec eux : on leur a fait part de nos idées, de nos doutes. On a eu l’audace de faire des rendez-vous collectifs avec les managers pour les tenir informés du fruit de nos réflexions en amont des instances. Nous avons été jusqu’à organiser des ateliers de design thinking, autour de post’it, avec les syndicats et la Direction orientés vers les solutions. »

« Faire tomber les masques pour faire émerger un discours de vérité »

« Cette stratégie est d’une puissance absolue mais elle nécessite des règles du jeu claires : considérer toutes les organisations syndicales de la même façon (il n’y a pas les « gentils » et les « méchants »), avoir un discours de vérité (on se dit les choses au service de l’intérêt général et non des intérêts personnels des uns et des autres). Cette attitude m’a permis d’anticiper les informations, d’accompagner les situations de mal-être au travail, d’éviter les intentions de faire grève et de faire en sorte que chacun trouve sa place et retrouve un job, le plus essentiel sans doute… »

« Adopter cette posture de transparence, de co-construction, d’authenticité, est bien plus puissant que de s’enfermer dans des rôles, des postures et de ne pas être soi-même. Au-delà des échanges avec les syndicats, cela fonctionne pour n’importe quelle relation. Par exemple, lorsqu’un recruteur rencontre un candidat : se mettre en posture de parité avec lui permet de faire tomber les masques pour faire émerger un discours de vérité. C’est beaucoup plus efficace et performant ! »

Après une première carrière dans des fonctions opérationnelles commerciales, Muriel Bolteau a embrassé trois grands métiers RH, par alternance, pendant dix-huit ans : transformation RH, Directrice Talent et DRH dans l’univers de la grande distribution. Depuis 2019, elle préside Réseau 137 by Alixio, le cabinet de management de transition dont la signature est : « L’humain change tout. ».

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