Comment organiser un travail hybride acceptable pour tous, salariés et employeur, en 2025

Les RH prennent la parole 2/10. Benoît Serre, vice-président exécutif de l’ANDRH et Partner & Director HR du BCG, revient sur les principaux enjeux RH de l’hybridation du travail en 2025.

Benoit Serre vice-président de l'ANDRH
Pour Benoît Serre, vice-président exécutif de l’ANDRH et Partner& Director HR du BCG, l'hybridation du travail est un défi RH majeur de l'année qui s'ouvre. © ANDRH

De même que la culture, les loisirs, la relation client et même les interactions avec l’Etat se sont hybridées très rapidement depuis quelques années, le travail, à son tour, connait cette évolution poussée par des technologies toujours plus innovantes et, à certains égards, fascinantes. Il existe en fait deux hybridations du travail : celle du temps et du lieu mais aussi celle de la production, avec notamment l’essor de l’IA générative.

C’est notamment en raison de cette double approche que nous entrons dans cette nouvelle ère, car non seulement le collectif est touché avec le télétravail mais aussi l’individuel avec cette possibilité de rechercher, travailler et produire de manière de plus en plus autonome. Il faut se souvenir que la France était, avant la crise covid, un pays très peu télétravailleur puisque cette pratique ne concernait que 3% des salariés. La culture très présentielle de notre management, notre attachement politique à la comptabilisation hebdomadaire du temps de travail, dont la durée est un marqueur historique des conquêtes sociales, avaient sans doute ralenti ou empêché un mouvement pourtant présent en Europe du Nord, aux Etats-Unis ou encore en Grande-Bretagne.

Repenser l’organisation collective du télétravail

La crise sanitaire de 2020 à 2022 a évidemment changé la donne en projetant brutalement les organisations dans un environnement totalement imprévisible et imposé puisque le télétravail pour une partie de la population était la seule solution possible. Pour faire face à la crise, deux réponses ont été installées en même temps : le télétravail et le chômage partiel réunissant plus de 70% de salariés au plus fort des confinements.

Les entreprises ont su réagir rapidement démontrant par la même une agilité qu’elles ne soupçonnaient pas même parfois. Personne n’a cru un seul instant que ce « big bang organisationnel » ne laisserait pas des traces profondes dans le monde du travail et nous y sommes. Pour autant, ce qui s’est installé sous le régime de l’urgence se doit d’être repensé en période normale. De nombreux accords ont été passés, prévoyant pour la plupart deux jours hebdomadaires de télétravail sans vraiment mesurer ce que cela signifiait en termes d’organisation collective.

Peu à peu, et comme toujours, les pratiques ont dérivé avec le fait de coller des jours aux congés ou de privilégier le vendredi ou le lundi donnant ainsi le sentiment que nous passions, de fait et subrepticement, à une semaine de 4,5 jours. De même, le télétravail, porté aux nues à ses débuts, a laissé apparaitre des défauts individuels ou collectifs comme l’isolement social, le surtravail par le déséquilibre vie privée/vie professionnelle, l’affaiblissement de la coopération et de l’intelligence collective, la distanciation avec l’entreprise et même le travail lui-même. Nous sortons de cette période de test avec une vision un peu plus objective des qualités et des défauts du télétravail dont la résolution pourrait se trouver dans la reconnaissance du travail hybride désormais établi pour réconcilier les temps, les lieux et les actions.

En France, les entreprises qui avaient choisi l’accord social pour instaurer et organiser les choses arrivent aujourd’hui à échéance et entrent donc dans une phase de renégociation forte de leurs observations. Elles font face à ce qui est devenu comme un acquis social pour certains et doivent donc trouver un chemin de crête, car mettre fin au télétravail apparait comme difficilement réalisable même si certaines s’y sont essayées avec le succès social que l’on sait.

Privilégier le collectif sans nier l’individu

L’heure est venue non pas de continuer à constater une pratique mais de l’organiser avec un inévitable champs de contraintes, perçues comme nécessaires par les organisations et comme réductrices de leurs droits acquis par les individus. C’est à ce prix que le travail hybride s’installera durablement, car s’il est vrai que la productivité individuelle est assez stable, il n’en va pas de même pour la productivité collective. Et c’est parce que l’enjeu est organisationnel qu’il doit passer par trois éléments fondamentaux : le dialogue social, la prise en compte des équilibres de vie, la réflexion sur les métiers, les compétences et les collaborations.

Pour installer durablement la logique hybride du travail, passer par le dialogue social semble évident et indispensable. Il ne faut notamment pas perdre de vue que tous les salariés d’une organisation ne sont pas éligibles au télétravail. Cela ne signifie pas pour autant que ces derniers ne nourrissent pas des aspirations à la transformation du travail, qui doivent être prises en considération dans les conditions comme dans l’organisation du travail. Ce sont éminemment des sujets de dialogue social fondés sur l’équité et la réalité des métiers concernés.

D’autre part, le travail hybride est généralement perçu comme un élément constitutif d’un meilleur équilibre de vie ou tout au moins d’une opportunité nouvelle pour confronter contraintes professionnelles et personnelles. Une organisation a la responsabilité de privilégier le collectif sans pour autant nier l’individu. C’est donc un exercice d’équilibre qu’il faut conduire. Trouver un accord social sur cela constitue une sorte de KPI pertinent, qui renforce la légitimité de l’organisation induite par la généralisation du travail hybride. Conduire ce dialogue social implique aussi de traiter en même temps le travail hybride mais aussi les éléments de vie au travail de celles et ceux qui n’en bénéficieront pas au risque de déséquilibrer l’entreprise.

Engager une réflexion sur les métiers et les compétences à l’ère de l’hybridation du travail

Organiser le travail hybride est l’un des éléments constitutifs pour le faire perdurer dans le temps sans quoi il risque de disparaitre au gré des crises et des tensions. On le voit d’ailleurs déjà aujourd’hui, certains dirigeants s’y opposent, conscients de l’impact qu’il peut avoir sur le modèle classique de management et d’organisation de la production de l’entreprise.

Voilà sans doute la principale conséquence à long terme de l’hybridation du travail, dont l’extension se fait en même temps que le déploiement de l’IA générative, qui implique de revisiter les métiers au regard des possibilités offertes : intégrer cette dimension dans les transformations de métiers autour d’une logique de réorganisation des tâches au sein d’un métier. Il faut identifier, d’une part, celles qui pourraient être prises en charge par l’IA et, d’autre part, celles qui se révéleraient adaptées à une réalisation à distance ou non. Ce travail difficile d’analyse des métiers par tâche est nécessaire pour choisir l’organisation collective la plus pertinente pour l’entreprise et ne pas subir les impacts d’aspirations légitimes, mais potentiellement porteuses de désorganisation ou de sous-productivité collective.

Bien s’équiper pour bien recruter