Travailler par 35°C : que dit le droit ?
Alors que les vagues de chaleur s’abattent sur la France, que prévoit le droit quant au travail pendant les périodes de canicule ?
En l’espace de quelques semaines, la France a vécu plusieurs épisodes de chaleur intense. Ces phénomènes météorologiques ont des impacts, à divers degrés, sur les conditions de travail et la santé des travailleurs : difficultés de concentration, maux de tête, vertiges, malaises… Quelles mesures l’employeur doit-il mettre en place pour protéger ses collaborateurs en cas de températures extrêmement élevées ? On vous dit tout !
Que dit le Code du travail ?
« Dans le cadre de son obligation de prévention qui figure dans le Code du travail, l’employeur est tenu de prévoir un dispositif en cas de fortes chaleurs, notamment dans son document unique d’évaluation des risques professionnels », explique Laurence Tardivel, avocate associée au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.
Pour réaliser ce DUERP, l’employeur doit recenser et évaluer les différents risques pour la sécurité et la santé des travailleurs et lister les actions de prévention de ces risques. « Parmi ceux-ci, on retrouve la notion de risques liés aux ambiances thermiques, lesquelles intègrent celle de fortes chaleurs », rappelle l’avocate.
« Depuis 2008, le Code du travail intègre également une obligation pour l’employeur d’adapter les postes de travail en extérieur de telle sorte que les travailleurs soient protégés contre les conditions atmosphériques, poursuit-elle. Enfin, depuis 2013, le Code du travail intègre une interdiction expresse pour les entreprises d’affecter les travailleurs de moins de 18 ans à des postes exposés à des températures extrêmes, susceptibles de nuire à leur santé. »
Quelles nouveautés depuis le 1er juillet 2025 ?
Un décret entré en vigueur le 1er juillet 2025 est venu préciser les obligations de l’employeur en cas d’épisode de canicule. « Ce texte a pour objet d’encadrer et de renforcer les obligations de l’employeur en matière de protection des travailleurs, dans un contexte de réitération de phénomènes climatiques intenses. Et ce, alors que les mesures dans le Code du travail restaient éparses, qu’une instruction interministérielle du 31 mai 2022 préexistait et que l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) avait déjà rappelé les effets de la canicule sur la santé au travail et formulé des recommandations à destination des employeurs », recontextualise Laurence Tardivel.
Un arrêté définit désormais l’épisode de chaleur intense ainsi : « A partir du moment où le bulletin de Météo France annoncera une situation de vigilance canicule jaune à rouge, l’employeur devra prendre des mesures en conséquence. » Une évaluation quotidienne est requise.
Le décret décline toute une série de mesures à mettre en œuvre par l’employeur dans ces circonstances, de l’aménagement des lieux de travail et des horaires de travail à la mise à disposition d’eau potable et fraîche, en passant par le choix d’équipements de travail permettant de réguler la température corporelle.
Depuis le 1er juillet, « l’employeur doit également communiquer aux travailleurs et au service de prévention et de santé au travail les modalités de signalement de toute apparition d’indice physiologique préoccupant, de situation de malaise ou de détresse ainsi que celles destinées à porter secours », détaille l’avocate.
Un salarié a-t-il le droit de ne pas venir travailler en cas de forte chaleur ?
Certains secteurs, comme le BTP, ont des dispositions spécifiques par température extrême : « La canicule faisait déjà partie des conditions d’engagement du régime chômage intempéries dans le BTP », rappelle l’avocate. Lorsqu’un employeur interrompt un chantier à cause de chaleur intense, il peut placer ses salariés en chômage-intempéries, à condition qu’ils aient effectué au moins 200 heures de travail dans une entreprise du BTP au cours des deux derniers mois. La canicule est désormais définie : elle est qualifiée lorsque les seuils de vigilance orange ou rouge émis par Météo France sont atteints.
En dehors de cette spécificité, tout salarié peut exercer ses droits d’alerte et de retrait. « Il a le droit de ne pas venir travailler, sans être sanctionné, s’il estime qu’il se trouve en situation de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, car le salarié a, également, une obligation de veiller à sa propre santé, explique Laurence Tardivel. Le collaborateur peut être sanctionné si des mesures de prévention existent au sein de l’entreprise et qu’il ne les applique pas. Le salarié ou le CSE dispose, en outre, d’un droit d’alerte de l’employeur en cas de températures anormalement élevées : l’employeur doit alors s’entendre avec le CSE sur la situation d’urgence et mettre en place des mesures de protection du salarié. L’employeur qui n’aurait pas mis fin à ce danger qui aurait généré un accident du travail se rendrait coupable d’une faute inexcusable. »
Quels risques de contentieux pour l’employeur ?
« Il existe peu de jurisprudence sur ce terrain. La plupart du temps, les affaires liées à un accident du travail en lien avec la canicule ne vont pas forcément en contentieux, car le dossier s’arrête à la reconnaissance de l’accident du travail par les caisses concernées », note Laurence Tardivel.
Les employeurs doivent néanmoins avoir en tête cet arrêt du 28 janvier 2021 de la Cour de cassation, qui porte sur une affaire du 14 juillet 2016 : victime d’un malaise sur son lieu de travail, un salarié était décédé le lendemain. Or, la caisse Mutualité Sociale Agricole de Maine-et-Loire avait refusé de reconnaître le caractère professionnel de cet accident. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel, laquelle a été sanctionnée par la Cour de cassation pour insuffisance de motivation de la cause étrangère au travail de l’accident litigieux. Bien que confirmant la décision de la Mutualité Sociale Agricole, la Cour d’appel relevait que « selon l’enquête établie le 20 mars 2017 par la caisse, deux témoins ont trouvé ce jour-là la victime fatiguée à l’embauche et que le temps était caniculaire et l’air irrespirable dans le bâtiment en raison de la chaleur et de la poussière ».