Transparence des salaires : « Les entreprises ont tout intérêt à prendre ce virage avant que la loi ne les y oblige ! »
L’experte en stratégie de rémunération Sandrine Dorbes revient sur la levée du tabou du salaire mise en exergue par notre enquête.

Les candidats n’ont pas attendu la directive européenne sur la transparence pour avoir des attentes fortes en matière d’information sur les salaires. Selon notre enquête HelloWork, alors qu’ils étaient 45%, en 2016, à déclarer que la mention du salaire retenait leur attention à la lecture d’une offre d’emploi, ils sont 64% en 2024.
En parallèle, les recruteurs sont de plus en plus nombreux à faire figurer cette information sur leurs offres : en 2022, seul un tiers d’entre eux le mentionnait. En 2024, ils sont 60,6% !
Que vous inspirent les chiffres de notre enquête ?
Sandrine Dorbes : La tendance vers plus de transparence des salaires va en s’accélérant, notamment du fait de la nouvelle directive européenne qui doit être transposée en droit français d’ici 2026. Les entreprises ont tout intérêt à prendre ce virage avant que la loi ne les y oblige : la transparence demande du travail, autant s’y mettre dès maintenant !
Justement… comment s’y mettre quand on n’a pas encore priorisé le sujet ?
S.D : En l’abordant de manière pragmatique ! La première étape est de définir sa politique de rémunération et sa grille salariale pour répondre à deux questions : comment on fixe les salaires et comment on les fait évoluer dans le temps. Il faut ensuite procéder par petits pas pour trouver le niveau de transparence qui nous correspond : déterminer les règles et les objectifs de sa politique de rémunération, puis décider de la stratégie de communication de cette grille en interne (comment la partager au CODIR ou au COMEX, aux managers, à l’ensemble des collaborateurs), avant de voir comment on en parle aux candidats.
Les avancées rapides et fortes en matière de transparence ont-elles révolutionné l’exercice de la négociation pour les recruteurs ?
S.D : Si le candidat postule, c’est qu’il est globalement en phase avec le salaire affiché, même si une négociation à la marge est toujours possible. De manière générale, je trouve que la transparence sur les offres d’emploi permet de fonder la négociation sur des bases plus saines, plus sérieuses et plus objectives. Elle apaise le débat et déplace la négociation sur d’autres aspects : les missions, l’équilibre vie pro/vie perso, le télétravail, la culture d’entreprise.
En dehors du recrutement, la transparence a aussi un impact sur les échanges autour des salaires au sein des entreprises. Comment en tenir compte ?
S.D : Autant prendre les devants, être très au clair sur l’évolution des salaires et communiquer les grilles de rémunération aux collaborateurs. Car les salariés parlent entre eux : on finit tôt ou tard par connaître le salaire de son ou sa collègue, surtout si elle fait le même travail. Et des écarts importants créent une vraie crise de confiance.
Le salaire va continuer à avoir de plus en plus d’importance ?
S.D : A un moment, les entreprises ne pourront plus augmenter les salaires et le marché va se réguler à un niveau que les candidats jugeront le bon. A ce moment-là, les entreprises devront se concentrer davantage sur l’ensemble du package de rémunération pour se différencier. Qu’est-ce qu’elles proposent en plus du salaire en termes de protection de la santé, d’épargne, de qualité de vie, d’allégement de la charge mentale, d’amélioration de leur pouvoir d’achat, de rythme de travail ?
Que deviendrait la transparence si le marché se tendait et que les candidats devaient revoir leurs exigences à la baisse ?
S.D : Si le marché se retourne (même si, de mon point de vue, c’est peu probable), certaines entreprises auront peut-être envie de faire marche arrière sur la transparence des salaires. Mais je pense qu’elles seront minoritaires. Car une fois qu’elles ont goûté à la transparence, les entreprises y trouvent leur intérêt : un gain de temps, des négociations salariales plus objectives… Et la loi empêchera ce retour en arrière !