Télétravail : « Vouloir revenir en arrière est impossible et contre-productif »

Face aux exemples récents chez Amazon et Ubisoft, l’expert en management, Gaël Chatelain-Berry, ne croit pas à un mouvement massif de retour au bureau en France.

"Je parie qu’Amazon fera marche arrière en 2025 pour retenir ses talents."
"Je parie qu’Amazon fera marche arrière en 2025 pour retenir ses talents." © Hellowork

Saint-Mandé, en région parisienne, le 15 octobre 2024. Une centaine de salariés d’Ubisoft sont rassemblés devant les bureaux du géant français du jeu vidéo pour protester contre le retour au bureau imposé trois jours par semaine. Pendant trois jours, plus de 700 collaborateurs sur les 4 000 qui travaillent pour l’entreprise en France se sont mis en grève à l’appel de leurs syndicats. Une mobilisation d’une ampleur inédite après l’envoi, mi-septembre, d’un mail de la direction justifiant sa décision par un souhait de « stimuler la créativité » de ses employés.

Seattle, aux Etats-Unis, le 16 septembre 2024. La direction d’Amazon envoie à tous ses personnels administratifs un mail pour les informer qu’ils devront revenir travailler au bureau, cinq jours sur cinq, à partir de janvier 2025. Un retour dicté par une volonté d’améliorer la productivité collective et de faciliter la collaboration, mais qui fait grincer des dents les salariés. D’après une enquête réalisée en interne, le retour au bureau à 100% a remporté un score de seulement 1,4 sur une échelle de 1 à 5.

Le virage à 360° des entreprises de la Silicon Valley

Si les cultures française et américaine du télétravail ne sont pas comparables, les salariés des deux côtés de l’Atlantique considèrent dorénavant le travail à distance comme un droit social acquis. « De nombreuses entreprises de la Silicon Valley, comme Zoom, étaient passées au 100% télétravail. Elles en reviennent parce qu’elles voient que ça ne fonctionne pas sur la durée, explique Gaël Chatelain-Berry, conférencier et écrivain, spécialisé en management. En France, peu d’entreprises ont franchi le pas du 100% distanciel. Il ne faut pas oublier qu’avant la pandémie, seules 3% des entreprises françaises proposaient du télétravail ! »

Chez Ubisoft, un « changement de discours sur le télétravail »

Depuis la crise sanitaire, de nombreux collaborateurs ont adopté un nouveau rythme de travail voire un nouveau mode de vie grâce à la souplesse qu’offre le travail à distance. Et ils ne sont pas près d’y renoncer : début 2024, 37% des travailleurs dans le monde et 24% en France déclaraient qu’ils démissionneraient si on leur demandait de revenir davantage au bureau, selon l’enquête Workmonitor de Randstad.

« Chez Ubisoft, le problème réside dans le changement de discours, décrypte Gaël Chatelain-Berry. Après avoir dit à leurs développeurs qu’ils pouvaient s’installer à Marseille et venir à Paris de temps en temps, ils leur demandent de revenir en région parisienne. On peut comprendre leur colère. »

« Je parie qu’Amazon fera marche arrière en 2025 ! »

Pourtant, l’expert ne voit en aucun cas dans cet épisode le signe d’un retour en arrière à l’échelle de la France. Ne serait-ce parce que les entreprises ont compris que pour une large part de salariés, et notamment les jeunes diplômés, la flexibilité dans l’organisation du travail est devenu un critère de choix important d’une entreprise.

Selon lui, les arguments des partisans du tout présentiel ne tiennent pas : « Vouloir revenir en arrière suppose que le télétravail a un impact négatif sur la productivité. C’est impossible et contre-productif. Or, toutes les études montrent que ce n’est pas le cas. Le 100% présentiel est une aussi grosse bêtise que le 100% distanciel. Je parie qu’Amazon fera marche arrière en 2025 pour retenir ses talents, car l’équilibre vie pro/vie perso n’est plus un sujet négociable pour les nouvelles générations. »

Travailler mieux et pas plus

« Ma conviction est qu’on se dirige vers ce que fait Unilever : des accords de présentiel, qui imposent un minimum de cinq jours de présentiel par mois et permettent ensuite aux salariés de s’organiser comme ils le souhaitent pour les jours restants. Avec des adaptations à la carte en fonction des moments de la carrière : un jeune diplômé qui a un petit appartement aura peut-être plus envie d’aller au bureau pour échanger, se socialiser ; un autre qui a des enfants en bas âge voudra être à 100% en télétravail ; un autre qui est parent d’ados préférera certainement alterner entre présentiel et distanciel. »

Avant tout, ce débat autour du télétravail questionne le rapport des Français au temps de travail : « Est-on payé pour faire des heures ou pour produire quelque chose ? Au lieu de mesurer l’implication d’un salarié au nombre d’heures travaillées, les entreprises doivent l’évaluer à l’aune des objectifs atteints. La priorité ne doit pas être de travailler plus mais de travailler mieux. »

Et pour améliorer la productivité au travail, l’expert en management prône de repenser le format des réunions. 27% des salariés et 55% des cadres disent passer trop de temps en réunion*. « Si on travaille sur les réunions, on peut, toutes et tous, passer à la semaine de 4 jours en produisant exactement la même chose, avance Gaël Chatelain-Berry. Je suis persuadé que dans quinze ans, la semaine de quatre jours à 32h sera la norme. »

* Etude Workforce Index réalisée par Slack avec Qualtrics auprès de plus de 10 000 employés de bureau dans 6 pays dont la France, publiée en janvier 2024.

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