Interdiction du télétravail, réduction, aménagement : jusqu’où l’employeur peut-il aller ?
Alors que se pose la question de l’avenir du télétravail, deux avocates spécialisées en droit du travail reviennent sur ce que la loi permet aux employeurs de faire en la matière.
En l’espace de quatre ans, l’extraordinaire bond du télétravail a remodelé l’organisation du travail dans les entreprises et le rapport à celui-ci de nombreux actifs. La France, qui ne comptait de 4% de télétravailleurs réguliers ou occasionnels en 2019, en dénombre aujourd’hui 33,5%, selon Eurostat.
La mise en place du télétravail dans l’urgence, puis sa pérennisation ont constitué d’importants défis pour les employeurs, qui sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à remettre en question ce mode de travail. Aux Etats-Unis, les entreprises de la tech prennent le chemin du return to office. En France, on s’interroge aussi sur les limites du travail à distance et sur l’intérêt de l’encadrer davantage, à l’image d’Ubisoft, qui imposera à ses salariés, à partir de janvier 2025, un retour au bureau au moins trois jours par semaine.
Vous êtes, vous-même, en réflexion sur la place à accorder au télétravail au sein de votre entreprise ? Vous êtes sur le point de renégocier votre accord de télétravail ou de réviser votre charte ? On fait le point sur vos droits.
Suis-je obligé de conclure un accord pour proposer du télétravail ?
Selon l’article L.1222-9 du Code du travail, le télétravail doit être mis en place par un accord collectif ou, à défaut, par une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE (s’il existe au sein de l’entreprise).
« Mais, en l’absence de ces textes, le salarié et l’employeur peuvent décider de recourir au télétravail et scellent leur accord par tout moyen. L’accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 26 novembre 2020 par les partenaires sociaux conseille, néanmoins, de formaliser cet accord par écrit, sous la forme d’un courrier ou d’un courriel », précise Anne Vincent, avocate associée au sein du cabinet Voltaire Avocats.
Depuis la mise en place de cet ANI, la signature d’un avenant au contrat de travail n’est plus obligatoire pour acter le passage du salarié au télétravail.
Puis-je modifier les conditions d’accès ou d’exercice du télétravail ?
« Si vous souhaitez modifier un ou plusieurs points de votre accord de télétravail, vous devrez négocier un avenant de révision avec les organisations syndicales représentatives. Il est également conseillé de consulter le CSE, car le télétravail touche aux conditions de travail, qui relèvent des prérogatives du CSE », précise Olivia Guilhot, avocate associée au sein du cabinet Voltaire Avocats.
En présence d’une charte de télétravail, le Code du travail ne précise pas comment la réviser. Il vous faudra, en revanche, consulter le CSE et informer vos collaborateurs des changements en respectant un délai de prévenance.
Toute révision d’un accord ou d’une charte de télétravail s’impose aux salariés.
En revanche, si les modalités du télétravail ont été contractualisées, l’employeur ne peut modifier le contrat de travail qu’avec l’accord du collaborateur.
Pour rappel, si vous disposez d’un accord ou d’une charte télétravail, ces documents doivent nécessairement mentionner :
- Les conditions de passage en télétravail, en particulier en cas d’épisode de pollution et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
- Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- Les modalités de contrôle du temps de travail ou de réduction de la charge de travail ;
- La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
- Les modalités d’accès des travailleurs handicapés au télétravail ;
- Les modalités d’accès des salariées enceintes au télétravail ;
- Les modalités d’accès des salariés aidants d’un proche au télétravail.
Puis-je refuser le télétravail à un collaborateur ?
« Oui, car le télétravail repose sur le principe du double volontariat, rappelle Anne Vincent. L’employeur comme le salarié peuvent donc refuser la mise en œuvre du télétravail. Mais l’employeur doit motiver son refus lorsqu’il s’oppose à un poste éligible au télétravail selon les termes de l’accord ou de la charte. En l’absence de ces textes, l’employeur n’est pas tenu de motiver son refus, sauf dans le cas d’un salarié en situation de handicap ou d’un salarié aidant. »
Puis-je interdire le télétravail ?
« Le télétravail n’est pas un droit acquis mais une organisation collective du travail qui n’est pas irréversible et ne crée pas de droit spécifique pour le salarié, sauf dans le cas d’un accord contractualisé », explique Olivia Guilhot.
« Le télétravail repose sur un principe de réversibilité : les conditions de retour à l’exécution d’un contrat sans télétravail doivent être prévues dans l’accord collectif ou la charte », explique Anne Vincent. En vertu de l’ANI du 26 novembre 2020, le salarié bénéficie alors d’une priorité d’accès pour reprendre un poste sans télétravail correspondant à ses compétences et ses qualifications.
Un employeur peut également décider de mettre fin à un accord de télétravail conclu pour une durée indéterminée. Il devra alors respecter un préavis de 3 mois pour dénoncer l’accord, sauf stipulation contraire. Il devra également engager une négociation pour conclure un accord de substitution. Dans le cas d’un accord de durée déterminée, l’employeur n’a pas la possibilité de le dénoncer. Il doit aller jusqu’à son terme.
Si une charte de télétravail a été mise en place, l’employeur peut y mettre fin en suivant les règles de la dénonciation d’un engagement unilatéral.
En conclusion, Olivia Guilhot estime que le télétravail « a un avenir en France mais pas à n’importe quel prix » : « Pour que le retour au bureau soit accepté par les salariés, les employeurs devront avoir des raisons valables, chiffres à l’appui, à leur apporter. »