Télétravail pendant les fêtes : que répondre à vos salariés ?
Durant les fêtes de fin d’année, certains salariés demandent à télétravailler plus que d’ordinaire. L’employeur peut-il refuser ? Nos conseils.
C’est le scénario classique à l’approche des fêtes de fin d’année : votre boîte mail se remplit de demandes de télétravail « exceptionnel ». Un collaborateur souhaite travailler depuis la maison familiale en Bretagne, une autre demande deux jours de télétravail supplémentaires par semaine jusqu’à la rentrée. Entre respect du cadre légal, maintien de l’équité entre salariés et volonté de faire preuve de flexibilité, les DRH marchent sur un fil. Comment répondre à ces demandes sans créer de précédent problématique ni générer de frustrations ? Décryptage des règles à connaître et des réponses à apporter.
Ce que dit le droit
Le télétravail habituel
Le télétravail n’est pas un droit automatique pour le salarié, même en période de fêtes. Chaque entreprise peut en fixer les règles, à travers un accord collectif ou une charte de télétravail. Lorsqu’un salarié demande à télétravailler selon les modalités prévues – par exemple, ses deux jours hebdomadaires habituels pendant la période des fêtes -, le cadre juridique est clair. L’employeur peut refuser, même si le poste est éligible, mais dans ce cas, il doit motiver son refus.
Au fil du temps, la jurisprudence a précisé ces motifs légitimes de refus : nécessité d’une présence physique pour des raisons de sécurité, protection de la confidentialité des données, organisation du service, impossibilité technique. Pendant les fêtes, vous pouvez, par exemple invoquer la continuité de service si votre activité nécessite une permanence physique sur site (accueil, gestion d’équipements, coordination d’équipes réduites). Mais attention : votre refus doit reposer sur des éléments objectifs et vérifiables, pas sur une simple préférence managériale.
Le télétravail exceptionnel
La situation change radicalement lorsqu’un salarié demande à télétravailler davantage que ce que prévoit le cadre habituel : passer de deux à quatre jours de télétravail entre Noël et le jour de l’an ou télétravailler alors qu’il n’en bénéficie pas habituellement. Dans ce cas, l’employeur n’est pas juridiquement tenu d’accepter, et surtout, vous n’êtes pas obligé de motiver votre refus de la même manière.
Attention toutefois à ne pas refuser une demande de manière arbitraire ou discriminatoire. Le principe d’égalité de traitement s’applique toujours : si vous acceptez pour un salarié, vous devrez justifier pourquoi vous refusez pour un autre dans une situation similaire.
Si votre accord collectif ou votre charte de télétravail mentionne explicitement la possibilité de déroger temporairement au nombre de jours de télétravail, alors vous devrez motiver votre refus. C’est d’ailleurs une bonne pratique : prévoir dans vos textes les conditions dans lesquelles des aménagements temporaires peuvent être demandés et accordés. En l’absence de clause spécifique sur les dérogations, il en relève de votre liberté d’employeur, avec pour seule limite le respect de l’égalité de traitement et l’absence de discrimination.
Télétravailler depuis un autre lieu
Sans demander de jours supplémentaires, certains salariés peuvent souhaiter, pendant les fêtes, télétravailler depuis un autre lieu que leur domicile. Dans ce cas, êtes-vous tenu d’accepter ? Là aussi, tout dépend de ce que prévoit votre accord. Si celui-ci spécifie que le télétravail s’effectue « depuis le domicile déclaré du salarié », une telle demande pour télétravailler depuis la maison familiale à 600 km ou depuis l’étranger sort automatiquement du cadre. Elle devient alors une demande dérogatoire, même si le nombre de jours reste inchangé, que vous pouvez accepter ou non. Mais là aussi, il convient de respecter le principe d’égalité de traitement entre les salariés.
En pratique, face à ce type de demande à l’approche des fêtes de fin d’année, posez-vous immédiatement la question : est-ce une demande dans le cadre prévu (avec obligation de motiver un éventuel refus) ou une demande dérogatoire (avec liberté de l’employeur) ? Cette distinction détermine non seulement votre marge de manœuvre, mais aussi la forme que devra prendre votre réponse. Et si votre accord ne prévoit rien sur les dérogations temporaires, c’est peut-être le moment d’y réfléchir pour l’année prochaine.
Quelle décision prendre ?
Au-delà du cadre légal, vous devez bien réfléchir avant d’accepter ou de refuser une demande de télétravail dérogatoire pendant les fêtes. Plusieurs risques juridiques et organisationnels guettent l’employeur qui improvise ses réponses au cas par cas. Mieux vaut les identifier en amont pour éviter les mauvaises surprises.
Le risque d’inégalité de traitement
C’est probablement le piège le plus fréquent. Vous acceptez la demande de Sophie, qui souhaite télétravailler depuis la Savoie pendant deux semaines, mais vous refusez celle de Karim qui demande la même chose pour partir en Normandie. Si les deux salariés occupent des postes comparables avec des contraintes similaires, vous vous exposez à une accusation de discrimination ou de rupture d’égalité de traitement.
Le principe est clair : à situation équivalente, traitement équivalent. Cela ne signifie pas que vous devez accepter ou refuser toutes les demandes de la même manière, mais que vos décisions doivent reposer sur des critères objectifs et vérifiables. La charge de travail du moment, la nécessité d’une présence physique pour certaines missions spécifiques, l’ancienneté dans le dispositif de télétravail, ou encore la performance du salarié en autonomie peuvent constituer des critères légitimes de différenciation. En revanche, accepter pour « faire plaisir » à un collaborateur apprécié et refuser à un autre sans justification factuelle vous place en position de faiblesse.
Que se passe-t-il en cas d’accident du travail ?
C’est un point souvent négligé : qu’arrive-t-il si l’un de vos salariés a un accident pendant qu’il télétravaille depuis un lieu inhabituel ? Le cadre juridique de l’accident du travail en télétravail est déjà complexe depuis le domicile habituel, il se complique encore lorsque le lieu de travail change temporairement.
La présomption d’accident du travail s’applique pour un accident survenu sur le lieu où s’exerce le télétravail pendant les horaires de travail, conformément à l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale. Mais si vous avez autorisé un salarié à télétravailler depuis la maison de ses parents sans formaliser cet accord, plusieurs questions se posent en cas d’accident : le lieu était-il réellement connu et validé par l’employeur ? L’accident est-il survenu dans le cadre professionnel ou pendant une interruption liée à la vie personnelle ?
Plus problématique encore : votre responsabilité en matière de santé et de sécurité au travail. Vous avez une obligation de sécurité envers vos salariés, y compris en télétravail. Théoriquement, vous devriez vous assurer que le lieu de télétravail répond aux normes minimales d’ergonomie et de sécurité. Dans les faits, personne ne vous demande d’inspecter la maison familiale en Bretagne, mais si un accident grave survient dans des conditions manifestement inadaptées (absence de connexion stable pour un métier critique, installation électrique défectueuse…), votre responsabilité pourrait être engagée.
Quel impact sur la cohésion d’équipe ?
C’est un risque plus diffus mais bien réel : multiplier les autorisations dérogatoires en période de fêtes peut créer un sentiment d’iniquité au sein des équipes, surtout pour ceux qui doivent assurer la permanence sur site. Si la moitié de votre service télétravaille depuis des destinations de vacances pendant que l’autre moitié maintient le bureau, les tensions peuvent rapidement apparaître.
Cette asymétrie est particulièrement sensible dans les services qui nécessitent une continuité physique : accueil, logistique, maintenance, support client. Les salariés qui ne peuvent pas télétravailler en raison de la nature de leur poste peuvent percevoir les autorisations accordées aux autres comme un privilège injuste. Même si juridiquement vous êtes fondé à différencier les autorisations de télétravail selon les postes, l’impact sur le climat social peut être réel.
Ne négligez pas non plus le risque opérationnel pur : accepter trop de demandes dérogatoires peut fragiliser votre capacité à maintenir un service minimum. Un imprévu, un bug système, une urgence client, et vous vous retrouvez avec une équipe dispersée géographiquement, difficilement mobilisable. C’est particulièrement vrai si vous avez autorisé des télétravailleurs à se connecter depuis des fuseaux horaires différents ou depuis des lieux avec une connexion internet aléatoire.
Le précédent créé pour l’avenir
Dernier risque, et non des moindres : chaque acceptation dérogatoire crée potentiellement un précédent. Si vous acceptez cette année que trois collaborateurs télétravaillent depuis l’étranger pendant les fêtes, comment refuserez-vous l’an prochain ? Si vous autorisez ponctuellement quatre jours de télétravail par semaine au lieu de deux, certains salariés pourraient considérer que cette possibilité fait désormais partie des usages de l’entreprise.
Juridiquement, un usage d’entreprise se constitue par la répétition de pratiques fixes, générales et constantes. Autoriser exceptionnellement du télétravail supplémentaire une année ne crée pas automatiquement un usage, surtout si vous avez bien précisé le caractère temporaire et exceptionnel de votre accord. Mais si cette « exception » se répète chaque année et concerne un nombre croissant de salariés, vous pourriez vous retrouver lié par un usage que vous avez créé malgré vous.
C’est pourquoi il est essentiel de formaliser par écrit le caractère dérogatoire et temporaire de toute autorisation hors cadre, et d’expliquer clairement les circonstances particulières qui justifient cette souplesse. Un simple email précisant « à titre exceptionnel pour la période du 22 décembre au 2 janvier » suffit à vous protéger, mais encore faut-il le faire systématiquement.
En résumé
La période des fêtes met les services RH face à un exercice d’équilibriste : concilier la flexibilité attendue par les salariés avec les impératifs de l’entreprise et le respect du cadre juridique. Refuser systématiquement toutes les demandes dérogatoires peut nuire à votre marque employeur et démotiver vos équipes. Accepter trop facilement expose à des risques juridiques et opérationnels réels. Entre ces deux extrêmes, la voie à suivre passe par une approche structurée et équitable.
Trois principes essentiels doivent guider vos décisions pendant cette période :
- anticipez en communiquant vos règles avant la vague de demandes de décembre ;
- documentez chaque décision en vous appuyant sur des critères objectifs ;
- formalisez par écrit tous les accords dérogatoires en précisant leur caractère temporaire et exceptionnel.
Ces réflexes simples vous protègent juridiquement tout en permettant une certaine souplesse. La flexibilité du travail est devenue un levier d’attractivité et de rétention majeur, mais elle ne peut s’exercer dans l’improvisation permanente. Elle suppose un cadre clair, compris par tous, et appliqué avec cohérence.