Addictions et télétravail : un risque d’aggravation bien réel

« Le déni collectif alimente le déni individuel des personnes souffrant d’addictions. Il y a urgence à en parler ! », affirme Alexis Peschard, addictologue et président de GAE Conseil.

les addictions en entreprise
L'alcool est central dans les problématiques d'addiction mais on parle aussi de tabac, de cannabis, de médicaments et même d'hyperconnexion.

Le télétravail accentue les pratiques addictives

3/4 des salariés interrogés pour l’étude menée par Odoxa pour le cabinet GAE Conseil jugent que les personnes ayant une addiction risquent de consommer davantage en télétravail,  et cette crainte concerne aussi bien l’hyperconnexion, la consommation de tabac, d’alcool, de cannabis, de médicaments ou d’autres drogues. Mais si tout le monde s’accorde à dire que les risques sont réels, la prise de conscience sur le terrain est loin d’être simple pour les collaborateurs, les managers et les RH.

Des règles strictes en entreprise qui s’appliquent aussi en télétravail

Ce n’est pas une évidence, mais pourtant les règles strictes qui encadrent la consommation d’alcool sur le lieu de travail s’exportent à domicile, via la pratique du télétravail. Pour les entreprises qui ont mis le télétravail en place depuis longtemps, un rappel de la loi est peut-être déjà intégré dans une charte et donc, plus facile à communiquer.

Dans le cadre d’un recours au télétravail massif et subi, la prise de recul est bien plus compliquée, les salariés sont moins conscients de ces règles et se permettent plus de libertés. Pourtant, l’employeur reste responsable de la sécurité de ses salariés et tenu à une obligation de résultat, ce qui devrait théoriquement motiver la mise en place de dispositifs de prévention et de communication. Dans les faits, on n’y est pas.

De nombreuses difficultés pour identifier et aborder le sujet

Quand on constate qu’un salarié est en situation d’addiction, il faut intervenir tôt pour permettre une prise de conscience rapide du salarié et mettre en place la prise en charge. Sur le papier, c’est une question de bon sens, mais dans les faits, la mise en œuvre peut être poussive, notamment dans le contexte de cette année 2020 : « Le confinement du printemps a été un traumatisme sur le plan psychologique, mais il a été vite mis de côté dans les mois post-confinement. Aujourd’hui, les personnes fragilisées se retrouvent de nouveau dans une situation à risque, il faudrait pouvoir adapter l’encadrement et l’accompagnement au sein des entreprises« , rappelle Alexis Peschard.

Une mission délicate pour les managers

Les managers ne sont formés à ces questions ni en présentiel ni dans le cadre du télétravail : « le sujet devrait être pris en compte dès la formation initiale dans les écoles de management ou d’ingénieurs et ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Deux axes majeurs sont à considérer : la prise en charge d’une situation aiguë (la prise en charge d’un salarié en état d’ébriété sur le lieu de travail par exemple) et la prise en charge des addictions chroniques (qui sont des maladies). »

Alors, comment agir ?

Une fois la problématique d’addiction d’un salarié avérée, l’encadrement de proximité doit pouvoir mettre en place un entretien bienveillant, sans pour autant tourner autour du pot : « Mais même quand on est préparé, c’est compliqué. Il faut s’adapter et signifier de manière extrêmement factuelle au salarié qu’on sait que quelque chose ne va pas, que ça a des conséquences sur son travail et que son entreprise est prête à l’accompagner et lui proposer différentes solutions et différents interlocuteurs. »

Les collaborateurs associent encore le fait de parler de l’addiction à une démarche qui va nuire à la personne concernée et les RH sont souvent contactées très tard, ce qui complique le process de prise en charge.

Quid de la médecine du travail ?

Alors qu’ils sont pourtant en première ligne, la plupart des médecins du travail n’ont pas de formation spécifique à l’addictologie. Souvent démunis, ils ne savent pas comment aborder la question même quand ils identifient une problématique.

En définitive, les enjeux autour de l’addiction sont loin d’être anecdotiques cette fin d’année : non seulement à cause du télétravail, mais également parce que les salariés sont fragilisés depuis plusieurs mois et que l’écoute n’est pas forcément au rendez-vous. Pas tant par manque de motivation que par manque de moyens : la priorité va à d’autres sujet, les inquiétudes se portent sur des réalités économiques et des sujets qui ne peuvent pas attendre. Reste quand même à trouver un peu de place et de temps pour s’inquiéter des risques psychosociaux avant l’heure du bilan !

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