« Repenser les stratégies de recrutement pour tirer parti du déclin démographique »

Quels défis le vieillissement de la population représente-t-il pour les entreprises françaises ?

Les seniors représentent un vivier de talents sous-exploité par les recruteurs.
Les seniors constituent un vivier de talents sous-exploité par les recruteurs. © Seventyfour/stock adobe.com

Devenue une problématique majeure pour les recruteurs, la pénurie de talents tend à s’accroître au fil des ans. D’ici 2050, la population des 20-64 ans diminuera de 49 millions en Europe, selon les chiffres de la Commission européenne, relayés par une étude du cabinet de management de transition Réseau137.

La France n’échappe pas à ce phénomène, qui découle à la fois d’une baisse du taux de natalité (aujourd’hui de 1,8 enfant par femme) et d’une augmentation de l’espérance de vie (actuellement de 85 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes).

Quel sera l’impact de ce vieillissement de la population sur le marché du travail français et comment les entreprises peuvent-elles l’anticiper ? Muriel Bolteau, fondatrice et présidente de Réseau 137, a répondu à nos questions.

Quelles répercussions ce vieillissement de la population a-t-il sur le marché du travail européen ?

Muriel Bolteau : Avec l’évolution rapide de la technologie et de l’économie, les compétences requises sur le marché du travail changent également à une vitesse vertigineuse. Or, il existe un décalage entre ces compétences émergentes et celles possédées par la population active actuelle. Cette non-adéquation pose un défi pour les entreprises cherchant à recruter des talents dotés de compétences spécifiques. Cette situation crée un goulot d’étranglement pour de nombreuses entreprises, limitant leur capacité à innover, à se développer ou même à maintenir leurs opérations actuelles. En conséquence, la compétitivité de l’Europe sur la scène mondiale pourrait être affectée.

À cela s’ajoute la migration de la main-d’œuvre vers d’autres régions ou secteurs d’activité. L’attrait économique d’autres régions du monde ou l’évolution des secteurs d’activité (par exemple, la croissance du secteur technologique au détriment d’autres secteurs traditionnels) entraînent une migration de la main-d’œuvre. Ce qui exacerbe les déficits de talents dans certaines régions ou industries spécifiques en Europe.

Avec une population active réduite et un manque de compétences adaptées, la capacité de l’Europe à maintenir sa croissance économique est menacée. Moins de travailleurs signifie une production globale plus faible, sauf si des gains de productivité sont réalisés.

Quel est l’impact financier de cette pénurie de talents pour les entreprises ?

M.B : En réaction, les entreprises sont souvent contraintes d’investir davantage dans le recrutement pour attirer les meilleurs profils. De plus, elles doivent déceler et développer les futurs leaders en interne, notamment en se faisant accompagner par des cabinets spécialisés dans le leadership development..

Quels viviers de talents sous-exploités les recruteurs doivent-ils considérer pour anticiper ce déclin de la population des 20-64 ans ?

M.B : Anticiper le déclin démographique nécessite de repenser les stratégies de recrutement. En élargissant leur champ de recherche et en valorisant des profils diversifiés, les entreprises peuvent non seulement combler leurs besoins en compétences, mais aussi enrichir leur culture et leur dynamique interne.

Pour répondre à un besoin ponctuel, l’entreprise peut faire appel à un manager de transition, un expert externe missionné pour soutenir l’entreprise lors d’une période de transformation. Le recours à ces spécialistes présente plusieurs avantages : la flexibilité, car ils sont employés pour une durée limitée, l’apport de solutions rapides et pointues, du fait de leur grande expérience professionnelle et un regard extérieur et objectif sur les problématiques rencontrées par l’entreprise.

Les seniors constituent un autre réservoir de talents sous-exploité. Pourtant ils présentent de nombreux atouts. Le fait qu’ils aient travaillé dans différentes entreprises ou divers secteurs d’activité constitue une richesse et en fait des rouages essentiels de la transmission des savoirs aux jeunes générations. Contrairement aux idées reçues, ils savent s’adapter aux changements et aux nouvelles technologies, pour peu qu’on leur donne accès à des formations adéquates.

Quelles autres stratégies adopter pour attirer et faire évoluer ses talents dans ce contexte démographique ?

M.B : Créer et développer une marque employeur forte est essentiel pour se démarquer au sein d’un marché du travail de plus en plus compétitif et attirer davantage de candidats. 90 % des entreprises dans le monde envisagent d’accroître leurs dépenses pour la marque employeur dans les années à venir, d’après une étude Forrester publiée le 13 avril 2023. Ce chiffre souligne à quel point la marque employeur est devenue un enjeu stratégique dans la course mondiale aux talents.

Mais, avant même de communiquer sur cette marque, il est primordial de garantir une expérience collaborateur positive. Autrement dit, avant de « vendre » l’entreprise à des candidats potentiels, il faut s’assurer que les employés actuels vivent véritablement les valeurs prônées.

Offrir un parcours personnalisé, adapté aux besoins et aspirations des collaborateurs, permet de répondre de manière ciblée à ces problématiques tout en valorisant l’individu. Les employés qui s’identifient à la culture de l’entreprise et qui s’y sentent bien sont moins susceptibles de la quitter. Et, un environnement de travail qui renforce la motivation des collaborateurs améliore la performance globale de l’entreprise !

Comment les autres pays, confrontés à la même problématique, y font-ils face ? Peuvent-ils être des sources d’inspiration pour les entreprises françaises ?

M.B : Les innovations en matière de marque employeur varient en fonction des réglementations et des contextes locaux. Par exemple, aux États-Unis, en l’absence d’un système de santé universel, les entreprises mettent l’accent sur les avantages liés à la couverture santé pour attirer et fidéliser leurs employés. C’est un élément distinctif de leur proposition de valeur pour les employés et un avantage concurrentiel sur le marché du travail.

A l’instar des entreprises américaines sur la santé, nos entreprises pourraient repenser leurs propres packages d’avantages pour refléter les besoins et les désirs actuels des collaborateurs de France.

D’autres pays peuvent être sources d’inspiration pour les entreprises françaises en quête de solutions face à un paysage démographique en évolution. À l’image du Japon, où les entreprises s’appuient sur l’intelligence artificielle et l’automatisation pour combler le déficit en main-d’œuvre et adapter leur environnement de travail aux besoins des seniors. Ou de l’Allemagne, où les entreprises ont été proactives en identifiant des viviers de talents à l’étranger pour recruter.

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Bien s’équiper pour bien recruter