Emploi des 50+ : « Il est temps que les entreprises et les RH fassent leur vraie révolution »

Entretien avec Sophie Dancourt, fondatrice du média J’ai Piscine avec Simone.

Sophie Dancourt
Les RH ne peuvent pas agir s’il n’y a pas de vraie volonté politique © HelloWork

Pour Sophie Dancourt, fondatrice du média J’ai piscine avec Simone, la question n’est pas de s’effrayer de salariés de 50 ans de plus en plus nombreux. Car tous les éléments démographiques nous indiquent déjà que leur nombre va augmenter. L’enjeu, c’est plutôt « d’offrir à un candidat qu’on recrute une projection dans le futur de sa carrière, quel que soit son âge« .

Et, si possible, de regarder au-delà des success stories, notamment quand on pense le sujet des séniors au féminin : « Je suis toujours très étonnée de voir l’empressement que les entreprises peuvent avoir à donner le nombre de femmes dans le top management… mais les autres ? Elles sont où et elles font quoi ? Ce n’est pas un sujet, parce que personne ne leur parle et personne n’en parle. Quand une situation se maintient tant bien que mal, personne n’a envie de faire de vagues et on privilégie le statu quo. »

Ces femmes dont vous parlez subissent donc une forme d’invibilisation. Quelles sont les pistes à explorer pour les rendre visibles ?

Sophie Dancourt : « Il faut d’abord les écouter, créer des groupes focus où elles pourront parler librement, sans manager. C’est compliqué d’exprimer un ressenti quand on se sent dans une position de vulnérabilité. A titre d’exemple, on peut parler de la ménopause, dont on voudrait nous faire croire qu’elle est synonyme d’une perte de compétences, alors que c’est faux. Ce n’est qu’après cette phase d’écoute que les entreprises peuvent s’attaquer à la transformation, avec la mise en place d’ateliers.  »

A quelles conditions ces ateliers peuvent-ils fonctionner ?

S.D. « Il faut qu’ils soient suivis dans le temps, mais ce temps nécessairement long est globalement incompatible avec les stratégies des entreprises. C’est pourtant lui qui permettrait  de mesurer et de corriger, le cas échéant. Je pense aussi qu’il faut tendre l’oreille aux ressentis qui ne sont pas toujours d’ordre professionnel. Les salariés ont besoin de reconnaissance et de valorisation et ce n’est pas propre aux 50+.  »

Quand on vous entend parler de reconnaissance, on lit entre les lignes que le rôle du manager est fondamental

S.D. : « Le manager est une clé de voûte, qui a besoin d’être formé. Les entreprises envisagent le rôle de manager comme une promotion, mais c’est un job à part entière et c’est pour cela que certains salariés refusent désormais de le devenir. Etre manager n’est pas une fonction, mais une compétence. Il faut former les salariés à appréhender l’aspect intergénérationnel, qui sera fondamental demain. Mixer les équipes, en termes d’âge et de compétences. Les réticences restent fortes, on pense que les 50+ sont vieux, qu’ils ne comprennent rien au numérique… alors qu’ils ont vécu toutes les innovations technos et qu’ils les ont appréhendées au fil de leur apparition sur le marché. Il y a forcément des dinosaures réfractaires, mais on a aussi des jeunes qui sont super bons pour faire un montage vidéo sur TikTok et qui ne se débrouilleront pas face à un tableur. L’entreprise est le dernier lieu où on peut mixer les générations, les dirigeants devraient le capter et s’en emparer car c’est un terrain d’expérimentation formidable.  »

Le potentiel semble immense, pourquoi les entreprises ne saisissent-elles pas cette opportunité ?

S.D. : « Il y a probablement une vision trop court-termiste des entreprises, qui pensent le sujet des séniors en termes de coût, avec des charges associées à une baisse supposée de la productivité. Tant qu’on envisagera les séniors (même si je déteste ce terme) en termes de coût et pas de profit, le résultat de l’équation sera forcément négatif. »

Est-ce que nos voisins font mieux ?

S.D. : « En Allemagne et en Suisse, la place des femmes dans l’entreprise est encore plus mauvaise, car la culture de la femme au foyer est forte, avec des systèmes de garde compliqués. Les Anglosaxons, et notamment l’Angleterre, sont plus proactifs que nous le sommes, car ils se sont rendu compte qu’il y avait une hémorragie de cadres femmes dans les entreprises. Par manque de reconnaissance et parce qu’elles constatent qu’elles ne peuvent pas progresser dans l’entreprise, elles préfèrent partir et se reconvertir. C’est un enjeu pour les entreprises de les maintenir dans l’emploi. Et un enjeu de culture d’entreprise aussi car, si on ne les garde pas, on n’a plus de role models pour les jeunes femmes. Depuis 2018 environ, certaines entreprises proposent ainsi un management qu’on pourrait qualifier de ménopause-friendly, notamment impulsé chez Channel 4. »

En France, c’est pour bientôt ?

S.D. : « Les Britanniques sont beaucoup plus cash et activistes. Sur la ménopause, il y a des groupes de lobbying extrêmement puissants qui ont fait des campagnes de com’, sont allés voir les acteurs de santé, se battent pour que certains traitements soient remboursés. En France, on observe la ménopause d’un point de vue pathologique. C’est un tabou, alors que les femmes passent environ ⅓ de leur vie ménopausées. Qu’est-ce qu’on est sensé faire alors ? On est dans une société de la longévité, on va probablement vivre plus longtemps et en meilleure santé. Ce regard est complètement obsolète si on reste sous l’angle de la carence : ce n’est pas parce qu’il y a des carences hormonales que la plasticité du cerveau est remise en question. Le cerveau continue à bien fonctionner bien après la ménopause pourvu qu’on continue à l’entrainer. Le pire truc, c’est d’arrêter de se former, d’arrêter d’apprendre. »

Quel rôle peuvent jouer les RH pour accélérer le changement ?

S.D. : « Toutes les données nous montrent que le management des entreprises n’est pas bon. Les chartes d’engagement RSE sonnent souvent un peu creux. Il est temps que les entreprises et les RH fassent leur vraie révolution, mais les RH ne peuvent pas agir s’il n’y a pas de vraie volonté politique. On leur tombe souvent dessus mais elles sont évidemment tributaires d’autres pans de l’entreprise pour pouvoir impulser le changement. Demain, on peut imaginer qu’on n’aura plus uniquement ces trois grands temps “je me forme, je bosse, je pars à la retraite” mais une hybridation du travail, des temps de re-formation, l’expérimentation de l’entreprenariat… On va arriver à un modèle qui n’existe pas aujourd’hui, avec moins de silos. Mais le chantier est colossal. « 

Bien s’équiper pour bien recruter