RH : 5 moments-clés où vous auriez tort de vous précipiter
Le livre « Le Travail pressé » pointe les limites du « modèle de la hâte » qui s’est imposé dans le monde du travail et invite les RH à prendre leur temps pour mieux faire.
 
					
				
				
					Le monde du travail est pavé d’injonctions au changement permanent : s’adapter aux mutations technologiques, pratiquer un management agile, intégrer une équipe-projet, enchaîner les missions temporaires, être polyvalent, changer d’entreprise, voire de métier.
En découle un « productivisme réactif », qui traduit « une volonté accrue d’ajuster en temps réel les moyens de travail à l’objet ou au service produit, et d’adapter, en temps réel toujours, celui-ci à la demande des clients, des donneurs d’ordre ou des services en aval dans la même entreprise », selon Corinne Gaudart et Serge Volkoff, auteurs de l’ouvrage Le Travail Pressé*.
Ce « modèle de la hâte » comporte plusieurs méfaits, car il néglige certains temps nécessaires au travail bien fait : l’apprentissage, la prise de renseignements et la vérification des informations, l’anticipation, la concertation entre collègues, les démarches par essai ou erreur, la transmission des savoirs…
« Notre culture temporelle nous a conduits à structurer nos temps personnels et sociaux sur l’horloge, au détriment de ce que nous faisons pendant ces temps. Inverser la machine, donner la primauté au contenu plutôt qu’au contenant, nous ferait découvrir que ‘’chaque phénomène produit son temps’’ », rappellent Corinne Gaudart et Serge Volkoff.
A travers des récits de collaborateurs glanés dans différentes entreprises, les deux ergonomes font la démonstration des travers de la précipitation au travail. Et invitent les entreprises, et en particulier les RH, à prendre davantage leur temps à certains moments-clés.
1. L’accueil des nouveaux collaborateurs
Un parcours d’intégration soigné est un facteur déterminant de fidélisation de vos nouveaux collaborateurs. Pourtant, ce temps d’onboarding manque souvent dans certains secteurs fonctionnant à flux tendu. A l’hôpital, par exemple, « ‘’On ne sait pas répondre aux nouveaux, on n’a pas le temps de leur montrer’’, témoigne une aide-soignante. » Ou encore dans le BTP : « ‘’Expliquer aux nouveaux ? Ça dépend si on est en retard ou pas. Et on ne sait pas à l’avance combien de temps les intérimaires vont rester’’, explique un ouvrier qualifié. »
Conséquence de cette intégration bâclée (ou inexistante) : les nouvelles recrues quittent rapidement l’entreprise : « Le modèle de la hâte empêche de penser le temps long : transmettre prend du temps et les bénéfices de la transmission ne sont pas immédiats. (…) Le temps de formation entre en concurrence avec celui de la production. Malgré les obstacles organisationnels, anciens et nouveaux peuvent trouver des moyens pour que cette transmission ait lieu quand même, mais cela représente un coût, et la qualité des savoirs et savoir-faire transmis peut en pâtir (…) Soutenir la transmission, c’est prendre un risque : celui de voir révélées des conditions d’exercice du travail délétères, produit du modèle de la hâte. Mais c’est aussi une opportunité d’en débattre – même quand le temps manque pour ce faire. »
2. L’accompagnement des managers
Piloter une équipe, c’est se trouver au carrefour de plusieurs temps : de la performance, de la qualité, de celui d’équipes composées d’individus différents, des usagers ou des clients, des changements de règles d’organisation ou de technologies…
C’est donc jongler avec des impératifs de court, moyen et long terme, qui ne répondent pas aux mêmes objectifs. « Cette supervision des temps est, bien sûr, de longue date, inhérente aux fonctions des encadrants au prix, souvent, d’une forte pression temporelle pour eux-mêmes. »
D’après les auteurs, « en créant des cadres d’organisation pour que le travail à venir puisse s’effectuer dans les meilleures conditions possibles », le manager joue un rôle de « concepteur local », peu reconnu par la hiérarchie. « Se donner la peine de l’identifier, le mettre en débat au sein de l’organisation, accroître le pouvoir d’agir de cette fonction est crucial. »
« Faute de ressources adéquates, et notamment de marges de temps, encadrer revient à bâtir des arrangements d’urgence qui, à terme, sont contre-productifs, voire accroissent les problèmes de santé. »
3. La prévention des risques
Les auteurs prennent l’exemple d’un accident de train, survenu en août 1985, à Argenton-sur-Creuse. Un train Corail roulait trop vite, ses voitures se sont renversées sur les voies, entraînant une collision avec un train postal arrivant dans l’autres sens. Jugé quelques années après, le conducteur a été déclaré coupable d’homicide et de blessures involontaires et condamné à deux ans de prison avec sursis pour accumulation de faits graves, inattention inexcusable et inobservation de la réglementation.
Or, les travaux d’un ergonome ont montré que la situation était bien plus complexe et découlait d’une combinaison de plusieurs facteurs : le conducteur n’avait pas pratiqué cette ligne depuis six mois et en était à sa cinquième vacation ; du fait du retard d’un précédent train, il a manqué de temps pour consulter la documentation du trajet, notamment des informations liées aux changements de limitation de vitesse sur l’itinéraire ; en apercevant les panneaux, il n’a pas eu le temps de vérifier les informations avant de freiner, car il faisait nuit et devait allumer l’intérieur de sa cabine.
« L’approche des risques par l’erreur humaine fait l’impasse sur des dimensions essentielles du problème : elle ne s’intéresse pas à la manière dont les accidents sont évités, notamment en gérant les temps (ceux de la production, de la sécurité, des équipes, des parcours, etc. »
« En lieu et place de stratégies d’anticipation des risques, ce sont des stratégies réactives, pour faire face, qui sont alors déployées, souvent sous forme des contraintes temporelles. Ce qui accroît le risque qu’un jour ou l’autre le choses tournent mal. »
Les auteurs recommandent, au contraire, de prendre du temps pour « délibérer des règles de métier, pour reconnaître les compétences attachées à la gestion des risques en incluant l’encadrement et pour établir des relations de confiance. »
4. L’accompagnement des changements
L’introduction de changements (de technologies, de process, d’organisation du travail, de locaux…) donne souvent lieu à des situations précipitées : « réflexions préalables allégées (dont celles sur la nécessité même du changement), proximité des transformations qui précèdent ou suivent, apprentissage en délais serrés, retour rapide au travail à plein régime, parfois accéléré », listent les auteurs.
Ces derniers citent en exemple les bienfaits d’instaurer un temps de bilan post-formation, comme ce fut le cas pour la mise en place d’un nouveau logiciel de gestion au sein d’une caisse d’allocations familiales : « Etant donné que tout avait été chamboulé, il nous semblait essentiel que les techniciens aient des temps d’échange sur les pratiques de remplissage de chacun du logiciel pour réussir à mettre en place des stratégies collectives utiles non seulement pour eux, mais aussi dans leur relation avec les allocataires. »
5. La gestion des fins de carrière
Alors que l’âge légal de départ à la retraite vient d’être repoussé à 64 ans, la question des conditions de travail des seniors vient sur le devant de la scène et mérite d’être considérée posément par les RH.
« Les entreprises peuvent s’ouvrir des marges d’action pour desserrer les contraintes temporelles en fin de vie active. Sont recherchés : la possibilité d’alléger les horaires et d’étendre les temps de repos (en minimisant autant que possible les pertes de revenus pour le salarié) ; des aménagements dans l’organisation pour accroître les marges d’anticipation dans le travail, les temps d’échanges entre collègues, les transmissions de savoirs ; des périodes de réflexion pour ajuster le contour de tâches si le travailleur garde le même poste, pour valoriser ses compétences acquises s’il en change. »
*Le Travail Pressé, Pour une écologie des temps de travail, de Corinne Gaudart et Serge Volkoff éditions Les Petits Matins, 207 p.
