RH : pourquoi tous ces anglicismes au travail ?

Du sourcing au reporting en passant par l’onboarding, l’anglais fait partie du vocabulaire utilisé par les RH au quotidien. Comment l’expliquer et peut-on y couper ?

ATS, sourcing, KPI... Les anglicismes font partie du quotidien des RH !
ATS, sourcing, KPI... Les anglicismes font partie du quotidien des RH ! © onephoto/stock adobe.com

« Je te forwarde le reporting après avoir checké mes mails et je prépare ensuite l’onboarding de la nouvelle Community Manager en full remote. » Voilà le genre de phrase qu’il n’est pas rare d’entendre dans un bureau RH. Le recours aux anglicismes s’est généralisé dans l’univers des ressources humaines, au même titre que dans de nombreuses professions.

Il n’y a qu’à regarder les offres d’emploi et leur lot de Business Developer, Chief Executive Officer ou Product Owner pour s’en convaincre : la langue de Shakespeare a colonisé notre vocabulaire professionnel. Aucune mission dévolue aux RH n’échappe à ce phénomène : du recrutement (sourcing, soft skills) à l’intégration des nouveaux collaborateurs (preboarding, onboarding) en passant par les outils de gestion RH (ATS : Applicant Tracking System, KPI : Key Performance indicator).

A la recherche du français perdu

La loi Toubon de 1994 consacre pourtant le français comme langue de référence dans le monde du travail. Elle stipule, notamment, que le contrat de travail, ainsi que tous les documents comportant des « obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail » (règlement intérieur, accord d’entreprise…), doivent être rédigés dans la langue de Molière. De même, le texte prévoit que dans le cas où les intitulés de poste en anglais n’auraient pas de traduction équivalente dans notre langue maternelle, l’offre d’emploi doit précisément décrire, en français, en quoi consiste la fonction.

Pourtant, les RH, le management, le marketing, la communication, le commerce, le numérique usent et abusent des anglicismes. Mais pourquoi cet engouement pour la langue anglaise ? A-t-on renoncé, à l’heure de la mondialisation, à lutter contre le soft power américain (oui, nous recourons aussi parfois au franglais dans nos articles) ? Ou emploie-t-on ces termes pour s’inscrire dans une tendance mainstream et cool (là, on l’a fait exprès) ?

L’anglais, langue tendance de la réussite professionnelle

Plusieurs facteurs expliquent cette évolution de la langue professionnelle. A commencer par la multiplication des échanges internationaux. Dans sa thèse Anglais correct exigé : Dynamiques et enjeux de l’anglicisation dans les entreprises françaises, parue en 2014, Jérôme Saulière date cet essor : « A la fin des années 90 et au début des années 2000, parallèlement à un processus accéléré de mondialisation des échanges, l’anglais fait véritablement son entrée dans le quotidien du salarié français moyen. »

Autre raison du succès de l’anglais : il fait tendance, jeune, dynamique et est associé à la réussite professionnelle. C’est LA langue de la start-up nation promue par le président de la République, Emmanuel Macron, au début de son mandat. Les mots comme coworking, todolist, brainstorming, reporting, open space font tous partie du champ lexical de ces nouvelles méthodes de travail nées au cœur de la Silicon Valley et qui renvoient au rêve américain de réussite professionnelle. Quoi d’étonnant, dès lors, que les RH aient adopté ces termes pour véhiculer une marque employeur moderne et attractive ?

L’anglais est également un code d’appartenance à une entreprise ou à un milieu professionnel, comme l’explique la sociologue Agnès Vandevelde-Rougale dans un article des Echos : « L’usage d’un certain vocabulaire anglais est devenu la marque d’une appartenance professionnelle. C’est plutôt une acculturation qu’un apprentissage direct. Comme les stagiaires apprennent le vocabulaire de l’entreprise en y étant confrontés. Ils ont besoin d’un lexique au début, et puis ils finissent par l’utiliser sans même s’en rendre compte. »

Enfin, est-il besoin de rappeler qu’une langue vivante est, par définition, en constante évolution. De nouveaux mots-dont beaucoup sont issus de l’anglais-font chaque année leur entrée dans notre dictionnaire et il est logique que la sphère professionnelle reflète les mutations de notre société.

Trop d’anglicismes excluent certains collaborateurs

Cependant, prenez garde à ne pas multiplier les anglicismes au risque d’exclure certains collaborateurs. Tout comme le jargon professionnel, l’utilisation de termes en anglais génère une fracture entre ceux qui maîtrisent le langage et ceux qui ne le comprennent pas. Un fossé générationnel peut, par exemple, se créer entre anglophones et non anglophones. Vos nouvelles recrues, se sentiront, elles aussi, exclues d’une conversation entre initiés où foisonnent les termes en anglais et dont on ne leur a pas expliqué la signification.

S’il est certes utile, dans le cadre d’une campagne de recrutement à l’international, de conserver l’intitulé des postes concernés en anglais, que penser de la valeur ajoutée de l’anglais employé pour des actions quotidiennes : « forwarder un mail » (au lieu de « transférer un mail »), « faire un reporting » (au lieu de « faire un bilan ») ou « pitcher » (au lieu de « présenter »).

Pensez aux alternatives en français

Comme le résume la philosophe Sophie Chassat dans les colonnes du Monde, l’important est de garder notre faculté de choisir nos mots pour conserver notre liberté de penser : « L’enjeu n’est pas de s’interdire les anglicismes, mais de se forcer à leur trouver des synonymes le plus souvent possible. Car le risque véritable, c’est qu’une langue appauvrie n’en vienne très vite à engendrer une pensée tarie et contrainte (et vice versa, cercle vicieux). »

Pensez donc aux alternatives françaises de certaines formules (lorsque des équivalents existent) : « appel » plutôt que « call », « réunion » plutôt que « meeting », « retour » plutôt que « feedback », « compte-rendu » plutôt que « debrief », « date butoir » plutôt que « deadline ». La plupart des anglicismes que nous utilisons machinalement au quotidien ont un équivalent français qui n’est souvent ni plus long ni moins percutant !

Entendra-t-on un jour dans un bureau RH : « je te transfère le bilan après avoir consulté mes mails et je prépare ensuite l’intégration de la nouvelle animatrice des réseaux sociaux en télétravail » ?

Bien s’équiper pour bien recruter