« Balance ta start up » & co : comment réagir si votre entreprise est mise en cause sur les réseaux sociaux ?
Les dénonciations d’infractions au droit du travail par des salariés font florès depuis quelques mois sur les réseaux sociaux, en France. Comment expliquer ce phénomène et, surtout, comment réagir si votre entreprise est publiquement accusée ?
Balance ta start up, ton stage, ton cabinet, ta rédaction… De nombreux comptes Instagram dénonçant des pratiques jugées abusives de la part de certains employeurs ont vu le jour depuis fin 2020, dans le sillage de Balance ton Agency, consacré au secteur de la publicité et de la communication.
Ces comptes épinglent principalement les remarques discriminatoires (sexisme, racisme, grossophobie…), le harcèlement, les humiliations, les heures de travail non rémunérées, les journées de travail à rallonge et les autres pratiques managériales toxiques qui ont cours dans certaines entreprises.
Une diffusion publique, massive et rapide de l’information
Cette pratique, courante chez les Anglo-Saxons et connue sous le nom de « name and shame », consiste à dénoncer publiquement des agissement supposés fautifs, dans une logique de libération de la parole. « Cette méthode de dénonciation ne fait pas partie de la culture française, mais elle a pris de l’ampleur dans la lignée du mouvement #MeToo. Pourquoi jouit-elle d’une telle popularité dans le domaine du travail ? Parce qu’elle permet une divulgation publique, massive et rapide de l’information. Compte tenu de la viralité des réseaux sociaux, cette pratique peut apparaître pour les salariés comme un levier plus puissant que la Justice, dont le fonctionnement peut sembler long, psychologiquement difficile et coûteux », analyse Marie-Laure Arbez-Nicolas, avocate en droit social.
Certes, tout salarié bénéficie d’une liberté d’expression sur son lieu de travail et en-dehors et peut émettre des critiques sur son employeur sur les réseaux sociaux. « Mais cette liberté n’est pas absolue, précise l’avocate. La liberté d’expression ne doit pas dégénérer en abus de droit. Selon la jurisprudence constituent un abus de droit les propos injurieux, diffamatoires, insultants ou excessifs envers l’employeur. La liberté d’expression trouve ses limites dans les obligations de loyauté, de bonne foi et de discrétion du salarié »
Des conséquences potentiellement dévastatrices pour une entreprise
Face à une procédure devant le conseil des Prud’hommes, qui dure en moyenne trois ans, la tentation peut être grande de lâcher une « bombe » médiatique au retentissement immédiat et à l’écho décuplé. « L’une des difficultés est que l’entreprise peut se retrouver rapidement jugée par l’opinion publique sur la base de simples allégations, d’un témoignage anonyme. Les retombées médiatiques peuvent être dévastatrices pour l’entreprise, pour ses résultats, pour l’emploi et pour ses recrutements », souligne la juriste » Dès lors, comment faire pour soigner votre marque employeur sur le web et éviter les « bad buzz » ?
1) Prévenir les risques en sensibilisant et en écoutant vos collaborateurs
La meilleure des parades à ces attaques est la prévention. Marie-Laure Arbez-Nicolas préconise d’aller à la rencontre des salariés pour identifier les éventuels dysfonctionnements et réfléchir ensemble à des solutions : « L’employeur peut mettre en place des audits internes, des questionnaires anonymes ou des espaces de dialogue pour permettre aux salariés de s’exprimer sur leur travail. Il peut aussi les sensibiliser à l’usage des réseaux sociaux et, éventuellement, leur proposer des formations sur leurs droits et obligations. »
2) Faire de vos salariés des ambassadeurs de votre marque employeur
« A l’ère des réseaux sociaux, la réputation se détruit beaucoup plus vite qu’elle ne se construit, rappelle la femme de loi. L’entreprise doit intégrer que sa marque employeur et sa communication n’appartiennent plus à sa seule direction mais aussi à ses salariés qui deviennent des médias à eux seuls ! »
Associer vos équipes à la construction de votre marque employeur et en faire vos ambassadeurs est aujourd’hui nécessaire car l’entreprise n’est plus l’alpha et l’oméga de son e-réputation.
3) Communiquer sur vos bonnes pratiques sur les réseaux sociaux
Pour faire rayonner votre marque employeur, quoi de mieux que de mettre en place de bonnes pratiques et de le faire savoir sur les réseaux sociaux ? Rédaction d’une charte éthique et numérique avec un guide sur l’usage des réseaux sociaux, formation des managers pour réduire les risques d’abus, mise en place des dispositifs d’alerte pour identifier les situations critiques pour les salariés… Toutes ces initiatives doivent être encouragées « à condition que l’identité de marque véhiculée soit conforme aux valeurs vécues par les salariés. Car, plus le décalage entre les deux est grand, plus l’entreprise s’expose à voir sa réputation malmenée en ligne », note Marie-Laure Arbez-Nicolas.
Ce fut notamment le cas de certaines start up pointées du doigt pour vanter la « coolitude » de leur ambiance de travail tout en pratiquant un management toxique.
4) Inciter vos salariés en difficulté à demander de l’aide
Les employeurs peuvent également rappeler à leurs salariés qu’il leur est possible de s’appuyer sur des relais au sein de l’entreprise s’ils rencontrent des difficultés : médecin du travail, inspection du travail, CSE, sont autant d’interlocuteurs faciles à solliciter.
« Le salarié bénéficie d’un droit d’expression directe, précise l’avocate. Cela signifie qu’il peut s’exprimer sur ses conditions de travail s’il estime qu’elles sont dégradées ou qu’il a vécu une situation de harcèlement, par exemple. »
Certaines entreprises ont mis en place un dispositif de lanceur d’alerte prévu par le Code du Travail. Ce processus permet à tout salarié qui constate dans l’entreprise un risque grave pour la santé publique ou l’environnement d’avertir son employeur. L’alerte est alors consignée par écrit dans un registre spécial et le lanceur d’alerte qui respecte la procédure d’alerte bénéficie d’une protection.
5) Répondre aux attaques
Lorsqu’une entreprise est publiquement attaquée par l’un de ses salariés, elle peut adopter différentes stratégies : le silence, la négation des faits, la publication d’excuses ou la mise en avant de ses bonnes pratiques sur le sujet soulevé.
« Certaines entreprises choisissent de ne pas communiquer publiquement pour éviter de donner plus d’ampleur au buzz, mais à mon avis, l’entreprise ne peut pas faire l’impasse d’une communication et d’actions en interne pour éviter les dérives, les dérapages et les incompréhensions. La meilleure solution, à mon sens, pour regagner la confiance en interne et en externe est d’adapter sa réponse à la situation », estime Marie-Laure Arbez-Nicolas.
Le droit de réponse existe sur les réseaux sociaux mais cette défense est néanmoins particulièrement compliquée à mettre en œuvre dans ce cadre : « En droit, il existe un principe essentiel : le contradictoire. Il permet à la personne attaquée de pouvoir répliquer en toute connaissance de cause. Or, c’est difficile pour une entreprise qui ne sait pas qui parle et de quoi exactement. »
6) Identifier les auteurs et tenter de trouver avec eux une solution
Ces critiques sont souvent formulées sous couvert d’anonymat, mais l’employeur peut, à certaines conditions, identifier l’auteur de ces propos. Pour ce faire, il devra obtenir l’autorisation du tribunal judiciaire pour obtenir ses données personnelles.
Une fois le collaborateur connu, l’employeur peut engager un processus de négociation avec lui en faisant appel, s’il le souhaite, à un médiateur ou à un avocat dans le cadre d’une démarche amiable. « Le plus souvent on arrive à trouver des terrains d’entente : on négocie des mobilités, des reclassements pour extraire un salarié d’une situation de harcèlement. Il existe bien des solutions avant d’en arriver à un départ », témoigne l’avocate.
Lorsque la situation dégénère en conflit, l’employeur peut prononcer une sanction disciplinaire, pouvant aller d’un simple avertissement à un licenciement pour faute grave voire lourde, à l’encontre du salarié qui a proféré les propos litigieux.
L’employeur peut également engager des poursuites judiciaires à l’encontre de son collaborateur, notamment en cas d’injures publiques ou de diffamation publique. Et demander réparation pour les préjudices subis, dont l’atteinte à sa réputation et à son image, sous forme de dommages et intérêts.