Réforme de la reconversion : quels enjeux pour les employeurs ?
Les partenaires sociaux planchent actuellement sur une simplification des dispositifs de reconversion professionnelle. Décryptage des enjeux avec Anna Milleret-Godet, avocate.
Dans le cadre de la négociation interprofessionnelle sur les transitions et reconversions en cours, le ministère du Travail a transmis, le 10 avril, aux partenaires sociaux une lettre d’orientation reprenant l’objectif de cette réforme : rendre plus lisibles et plus cohérents les dispositifs de reconversion professionnelle existants. Ces derniers sont notamment pointés du doigt pour leur coût, leur complexité et leur sous-utilisation par les salariés qui en ont le plus besoin.
Le document esquisse plusieurs pistes de réforme : recentrage des projets de transition professionnelle sur les publics qui en ont le plus besoin, notamment les personnes en deuxième partie de carrière, fusion des dispositifs Transco et Pro-A, création d’un contrat de professionnalisation sans limite d’âge… Les solutions retenues par les partenaires sociaux devraient être intégrées au projet de loi sur l’emploi des seniors qui doit être examiné en juin au Parlement. Quels seront les enjeux de cette réforme pour les employeurs ? Réponses avec Anna Milleret-Godet, avocate associée au sein du cabinet Delsol Avocats.
« L’objectif de cette négociation est surtout de simplifier les dispositifs de reconversion qui ne sont pas forcément bien utilisés aujourd’hui car mal connus des entreprises et des salariés. Cette volonté de clarification s’inscrit dans un contexte économique qui voit les métiers évoluer de plus en plus rapidement avec la nécessité, pour les employeurs et leurs salariés, de s’adapter sans cesse en particulier avec l’utilisation de plus en plus intensive de l’IA au travail », explique l’avocate.
Une myriade de dispositifs plus ou moins connus
Dans la galaxie des outils de reconversion professionnelle, les principaux sont :
- TransCo : créé en 2021, le dispositif Transitions Collectives permet aux entreprises d’anticiper les mutations économiques de leur secteur en accompagnant leurs salariés dans leur reconversion vers un métier porteur dans leur bassin de vie ;
- Le projet de transition professionnelle (PTP) ou CPF de transition : en vigueur depuis 2019, il permet au salarié qui souhaite se reconvertir de s’absenter de son poste, avec l’accord de son employeur, pour suivre une formation ;
- L’alternance Pro-A : instaurée en 2018, la reconversion ou la promotion par alternance vise à faciliter un changement de métier ou de profession, ou une promotion sociale ou professionnelle, via l’obtention d’une certification professionnelle acquise après une formation en alternance ;
- Le bilan de compétences : cette démarche permet d’analyser les compétences professionnelles et personnelles du salarié et de définir un projet professionnel et éventuellement de formation en lien avec ses aspirations ;
- La validation des acquis de l’expérience (VAE) : ce dispositif vise à valoriser l’expérience acquise par un salarié durant son parcours professionnel, en le faisant valider une certification ou un bloc de compétences d’une certification. Elle peut être réalisée dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle.
Quelles obligations légales de l’employeur en matière de reconversion ?
« Aujourd’hui, rien n’oblige un employeur à mettre en place un plan de développement des compétences, par exemple un plan de formation », rappelle l’avocate. Les seules obligations auxquelles doivent se soumettre les entreprises sont d’adapter leurs salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations (art. L.6321-1 du Code du travail). Dans certains cas, les textes sont un peu plus précis. Par exemple, « les entreprises de plus de 300 salariés doivent mettre en place un plan de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise) à renégocier avec les partenaires sociaux tous les trois ans ». De même « dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’employeur doit mettre tout en œuvre afin d’éviter les licenciements économiques. Cela passe notamment par des mesures de formations et d’adaptation visant à reclasser les salariés en interne, avant de procéder à des licenciements. »
Un employeur peut-il refuser une demande de reconversion professionnelle ?
« En théorie, un employeur ne peut pas refuser une demande de reconversion professionnelle si le salarié répond aux conditions d’éligibilité. Il peut seulement la décaler et doit motiver sa décision », précise Anna Milleret-Godet.
Comment pallier l’absence du salarié pendant sa formation ?
Aucune préconisation à ce sujet ne figure dans la lettre transmise aux organisations syndicales et patronales. « Le plus simple sera sans doute de laisse la main aux entreprises, en fonction de leur activité, de la durée d’absence du salarié et de son type de poste. Dans certains cas, il vaudra mieux recruter en CDD ou en intérim, dans d’autres répartir la charge de travail au sein de l’équipe. Dans cette dernière hypothèse, il faudra veiller à ce que l’absence du salarié ne génère pas une désorganisation du travail ou un accroissement trop important de la charge de travail, ce qui ouvrirait la porte à de nouveaux contentieux », estime Anna Milleret-Godet.
Quelles obligations au retour de l’employé ?
« A son retour, le salarié doit retrouver son poste ou un poste équivalent. En l’état actuel du droit, l’employeur n’est pas censé prendre en compte la nouvelle qualification du salarié mais quel est alors l’intérêt de cette nouvelle casquette pour le salarié ? Cela pourrait être rediscuté. »
Vers des sanctions de l’employeur en cas de manquement ?
« J’ai l’impression qu’on prend plus le chemin d’une simplification que de l’instauration de mesures coercitives, explique l’avocate. En revanche, on voit émerger depuis quelques temps une jurisprudence plutôt constante sur le préjudice nécessaire. La Cour de cassation estime de plus en plus que le salarié subit forcément un préjudice qui doit être réparé par l’octroi de dommages-intérêts, lorsque l’employeur manque à certaines de ses obligations. C’est ce qu’on appelle le ‘’préjudice nécessaire’’. On peut imaginer que cette évolution de la jurisprudence s’applique au champ de la formation, c’est-à-dire que le fait de ne pas avoir mis en place d’action de formation ou d’adaptation pour maintenir l’employabilité de ses collaborateurs pourrait constituer un préjudice nécessaire qui entraînerait une indemnisation automatique du salarié. »
Pour limiter le risque de contentieux, la solution passe, selon elle, par un accord d’entreprise, une charte ou un document unilatéral encadrant les dispositifs de reconversion professionnelle avec des règles écrites, portées à la connaissance de tous les salariés.