Vers un recrutement plus inclusif grâce à l’IA ?
Que ce soit dans le vocabulaire utilisé dans les offres ou pour décrypter les CV, l’IA générative peut aider les RH à lutter contre les biais cognitifs.
Depuis fin 2023, l’IA s’est invitée dans les discussions à la machine à café et dans le bureau des RH. Que ce soit pour pointer ses limites et ses déviances, pour louer le gain de temps qu’engendre son utilisation ou bien pour se livrer à des prédictions sur le futur du travail (pour le meilleur et pour le pire). « La fonction RH n’aime pas le changement et voit généralement d’abord les risques d’une nouvelle technologie avant d’en identifier les potentiels bienfaits. Mais bon nombre de RH y décèlent, à présent, une opportunité de réinventer leurs pratiques et d’améliorer l’expérience collaborateur », constate Jérémy Lamri, CEO de Tomorrow Theory.
Dès l’arrivée des premiers outils d’IA générative il y a deux ans, les recruteurs ont flairé le potentiel de l’outil : aide à la rédaction d’offres, assistant pour leur sourcing, élaboration de comptes-rendus d’entretiens, création de messages personnalisés pour le candidat… Aujourd’hui, elle fait partie du quotidien d’une large part de recruteurs et ouvre le champ des possibles.
« Au départ, les RH et les recruteurs avaient des appréhensions, des inquiétudes légitimes en raison de la part d’inconnu lié au développement de cette technologie, se souvient Géraldine Plenier, directrice générale de la fondation Mozaïk. Mais ils ont rapidement pris conscience que l’avènement de l’IA générative allait transformer les processus de recrutement et qu’il fallait s’y préparer. »
Des offres d’emploi plus inclusives
Les deux spécialistes du recrutement voient dans l’IA générative une opportunité de rendre le recrutement plus inclusif, à certaines conditions. Commençons avec l’offre d’emploi : « Leurs textes peuvent véhiculer, souvent malgré la personne qui les rédige, des représentations dominantes, discriminantes pour les femmes, les seniors, les personnes en situation de handicap ou les candidats issus de la diversité. A la condition indispensable qu’elle intègre les bonnes pratiques éthiques d’un sujet, l’IA peut servir de garde-fou, car c’est l’outil de langage le plus sophistiqué qui existe. Elle peut aussi bien servir d’outil de relecture que d’outil de création pour des offres d’emploi plus inclusives », témoigne Jérémy Lamri.
L’inclusion, c’est aussi savoir adapter son discours à sa cible : « Les candidats que l’on accompagne, en particulier les plus jeunes, nous disent qu’ils ne comprennent pas ce que l’entreprise attend d’eux quand ils lisent une offre d’emploi. Les recruteurs doivent mener ce travail sur les mots, la présentation de l’entreprise et de ses attentes, et l’IA peut les y aider ! » assure Géraldine Plenier.
Demain, les recruteurs pourront même générer dix versions différentes de leur offre grâce à l’IA « pour l’adapter à leurs différentes cibles et aux canaux de diffusion », présage Jérémy Lamri.
Une meilleure valorisation des soft skills
En mettant les soft skills au cœur de leurs critères de sélection, les entreprises ouvrent la voie à des talents de tous horizons, selon le CEO de Tommorow Theory : « Le recrutement par les soft skills est intéressant, car il part du postulat que quelqu’un qui est capable de s’adapter et d’apprendre facilement est plus intéressant qu’un candidat bardé de diplômes. Mais, là où il faut être très rigoureux, c’est sur la définition de ces soft skills, qui doivent être associées à des comportements observables. Comment la machine peut sélectionner les bons candidats si vous ne lui donnez pas les bonnes instructions ? » Il faudra également prendre garde à respecter l’IA Act, adopté au niveau européen et qui interdit notamment la détection des émotions dans le cadre d’un entretien d’embauche.
Si les recruteurs utilisent depuis longtemps des algorithmes pour sélectionner des CV, l’IA générative constitue une avancée majeure. Au-delà de scanner des mots, vous pouvez lui donner un contexte : « Si le candidat décrit en détail les missions qu’il a réalisées, l’IA va être en mesure de comprendre ce qu’il a fait et les compétences techniques et comportementales qu’il a acquises à travers ses expériences, poursuit Jérémy Lamri. C’est une vraie opportunité en matière d’inclusion, mais cela passe aussi par un apprentissage des candidats. »
Une mission qui tient à cœur à la fondation Mozaïk : « Alors qu’on avait coutume de dire au candidat de faire tenir son CV sur une page, on l’incite maintenant à mettre un maximum de contenus et de détails sur ses expériences, car ces informations vont nourrir la machine, raconte Géraldine Plenier. Notre rôle est d’accompagner les candidats, pour ne pas créer une fracture numérique qui ferait que seuls ceux qui savent comment fonctionnent ces outils et comment les utiliser ressortent privilégiés de cette transition. »
Multiplier les modalités de candidature
S’ouvrir à des profils plus variés passe aussi par la possibilité de postuler en empruntant différents chemins. Ce qui pouvait sembler chronophage aux recruteurs ne l’est plus s’ils ont recours à l’IA, avance le CEO de Tommorow Theory : « L’IA va diminuer le coût d’accès à tout un éventail de solutions que les recruteurs pourront proposer au candidat. Chacun pourra choisir le levier qu’il préfère pour postuler : discuter avec un chatbot, passer un test, répondre à un questionnaire, envoyer un CV ou un projet professionnel… En multipliant les modalités de recrutement, on pousse les candidats à adopter la stratégie la plus naturelle pour eux pour se mettre en valeur et on les met plus à l’aise. »
Miser sur les chatbot pour améliorer l’expérience candidat
L’IA prend aussi la forme d’agents conversationnels qui peuvent être des ressources intéressantes pour informer les candidats et les rassurer lors du processus de recrutement. « Ils peuvent notamment proposer aux candidats une sélection personnalisée d’offres d’emploi en fonction de leur CV ou encore les coacher dans leur préparation à travers des simulations d’entretien », liste la directrice générale de la fondation Mozaïk.
Donner une seconde chance aux candidats
Enfin, les algorithmes peuvent aussi « repêcher » des candidats non retenus en première phase de recrutement. « La principale source de discrimination réside dans le fait que le processus de recrutement est linéaire : en temps limité, on demande au candidat de faire un effort limité, puis le recruteur doit faire rapidement un choix et prend le candidat qui le rassure, résume Jérémy Lamri. Si demain l’IA permet de gérer et d’automatiser de nombreuses tâches en recrutement, on fera différemment : l’IA pourra recontacter les candidats non retenus pour la préqualification téléphonique, leur faire passer un test ou leur demander de remplir un questionnaire pour en « repêcher » certains et ne pas passer à côté de profils intéressants. »
Conscientiser les biais pour mieux les dompter
En définitive, l’IA générative appliquée au recrutement est sans doute une occasion en or de conscientiser les biais discriminatoires pour mieux les combattre, estime Jérémy Lamri : « La bonne nouvelle, c’est que le besoin d’accélérer sur le développement de l’IA pour des raisons de productivité et d’expérience va conduire à des réflexions plus profondes sur les process de recrutement et les biais cognitifs. Le pire qui pourrait arriver à un recruteur, c’est d’attendre que l’IA lui dise quelles sont les nouvelles bonnes pratiques, alors autant prendre les devants ! »