« Ce n’est pas parce qu’on a un enfant handicapé qu’on doit travailler à temps partiel »

Quel rôle les entreprises peuvent-elles jouer pour faciliter le quotidien de leurs salariés parents d’enfants en situation de handicap ?

41% des parents d'enfants en situation de handicap travaillent à temps partiel.
41% des parents d'enfants en situation de handicap travaillent à temps partiel. © spyrakot/stock adobe.com

« A 9 ans, Nathan est un grand bébé, mais un bébé dont les crèches ne veulent plus parce qu’il est trop âgé. Le plus difficile a été d’encaisser la réalité de son handicap. A 9 mois, il ne tenait pas assis, il ne rampait pas. On a appris qu’il était épileptique et porteur d’un handicap. On se dit que ça n’arrive qu’aux autres et puis ça vous tombe dessus. »

On parle souvent de la double journée du parent qui travaille et s’occupe de ses enfants, moins de la triple journée des parents d’enfants en situation de handicap. Maman de trois enfants, Laure doit faire entrer dans son agenda ses impératifs professionnels, l’intendance familiale, les activités sportives de ses adolescents de 12 et 14 ans et les rendez-vous médicaux du benjamin.

« J’ai la chance d’avoir un patron très à l’écoute : j’ai pu bénéficier de deux jours de télétravail, le mardi et le jeudi, jours où Nathan a ses séances de psychomotricité et de kinésithérapie, explique cette quadragénaire employée dans une entreprise de gestion locative. De son côté, mon mari, qui est professeur, a demandé un aménagement d’emploi du temps pour finir à 16h tous les jours et ne pas travailler le mercredi après-midi. Ce qui nous a permis de continuer à travailler à 100%, on en a besoin tous les deux. »

Temps partiel et renoncements

Tous les parents d’enfants en situation de handicap n’ont malheureusement pas cette possibilité. 62% constatent une influence de leur rôle d’aidant sur l’évolution de leur carrière et 41% travaillent à temps partiel*. A l’image de l’épouse de Mohamed, technicienne support client dans une société informatique : « Elle a pris un 80% pour s’occuper de notre fille de 25 ans, Sirine, atteinte de troubles du comportement. Elle a aussi demandé à son employeur d’adapter son emploi du temps. Certains collègues ont demandé des explications sur ses horaires aménagés, mais on ne souhaite pas divulguer sa vie à des personnes que l’on ne connaît pas. »

Quant à Mohamed, après avoir passé le concours pour devenir chef d’établissement, il a finalement renoncé à son projet de carrière : « Je ne pouvais pas travailler 70h par semaine et laisser mon épouse tout assumer. C’est déjà elle qui s’occupe de tout l’administratif, elle fait preuve d’un courage et d’une résilience extraordinaires. Le fait d’être aujourd’hui prof de maths me permet de passer davantage de temps avec mes trois enfants. Même si je dois parfois quitter mon travail en urgence, lorsque Sirine tombe et qu’on doit l’emmener à l’hôpital, je m’arrange toujours pour rattraper mes heures de cours. »

« On est seuls dans un monde qu’on ne connaît pas »

Au-delà des contraintes d’organisation au quotidien, c’est le manque d’accompagnement dont souffrent le plus ces familles. « On est seuls dans un monde qu’on ne connait pas, résume Laure. Le plus compliqué, c’est d’avoir les informations. Quand j’ai appris que Nathan ne pourrait pas aller à l’école, je me suis dit : qu’est-ce que je fais de mon fils ? Comment je fais si je n’ai pas de solution de garde pour mon enfant ? J’avais commencé à parler à mon patron d’un temps partiel à 50%. On a frappé à toutes les portes, on s’est battus. Finalement, on a eu une place en IME (institut médico-éducatif), grâce au bouche-à-oreille. »

Trouver une place pour sa fille dans un établissement pour adultes a été un parcours du combattant pour Mohamed : « Je suis très en colère, je me suis fendu de plus de 10 courriers à l’ARS. Tous sont restés sans réponse. Personne ne nous a aidés à obtenir une place en centre d’accueil. Sirine a été trimballée d’un établissement à l’autre, jusqu’à 80km de Lyon. Par manque d’effectifs, ils l’isolaient dans une salle. Ils nous ont forcé la main afin qu’on consulte un psychiatre pour lui donner un traitement anxiolytique pour la calmer, ce qui est contre-indiqué pour les épilepsies graves, dont souffre ma fille. Comment ne pas avoir envie de tout casser, de fuir ? C’était usant, source de conflits au sein de la famille. Aujourd’hui, la situation est plus pérenne, Sirine est en centre d’accueil jour la semaine et, une semaine par mois, elle est accueillie à l’internat d’une MAS (maison d’accueil spécialisée). »

« Les gens ne mesurent pas la réalité de notre quotidien »

Vivre avec le handicap, c’est aussi se heurter au regard des autres, à leur méconnaissance, à leur jugement ou, pire, à leur mépris. « La plupart des gens ne mesurent pas la réalité de notre quotidien, réagit ce père de 55 ans. Un jour où je ne pouvais pas faire cours, j’ai eu une remarque : ‘’Pourquoi tu n’amènes pas ta fille ?’’ ‘’Mais si je l’amène dans un bureau, qui va s’en occuper ? Elle va jeter des objets par terre, courir partout, c’est ça que vous voulez ?’’ ai-je répondu. »

Depuis que leur fille est adulte, la famille n’a plus droit aux congés spécifiques octroyés aux parents d’enfant en situation de handicap ni à un accompagnant proposé par la mutuelle lorsqu’ils partent en vacances. « On se sent d’autant plus démunis, ce n’est pas parce qu’elle est adulte qu’elle est autonome », témoigne Mohamed.

Flexibilité et bienveillance

Dans ces conditions, quel rôle l’employeur peut-il jouer pour adoucir le quotidien de ces familles ? Pour Laure, la réponse passe avant tout par la souplesse dans l’organisation du travail et des horaires : « Le télétravail, c’est magique ! A 8h, j’accompagne Nathan à son rendez-vous et à 9h30, j’allume mon ordi plutôt que de faire une heure de route pour rejoindre le bureau. »

Autre élément essentiel : la bienveillance de la hiérarchie. Lorsque le patron de Laure a vu qu’elle n’allait pas bien, parce que son fils devait passer un IRM cérébral, il l’a soutenue : « Il a appelé plusieurs contacts pour m’obtenir ce rendez-vous et, le jour J, il m’a dit d’accompagner mon mari. C’est aussi ce jour qu’il m’a dit : ‘’Nathan, c’est ta priorité ». Ça m’a libérée. Je sais que si je dois prendre un rendez-vous médical en milieu de matinée ou d’après-midi pour mon fils, je vais pouvoir m’arranger avec mon entreprise. Je n’ai pas cette pression de me dire que ça va être compliqué à organiser, pas ce stress de me demander si je vais finir par perdre mon travail. Et c’est ça qui me donne envie de rester où je suis. »

« Fort heureusement, la Mission Handicap de l’entreprise de ma femme est à l’écoute et fait preuve de beaucoup de bienveillance vis-à-vis des salariés aidants : flexibilité horaires, journées d’accompagnement pour les rendez-vous des aidés, communications sous forme de café-échanges pour parler de ce sujet », témoigne Mohamed.

Cercles de parole et places en établissements spécialisés

De son avis, les entreprises pourraient proposer davantage de cellules d’écoute et de groupes de parole destinés à leurs salariés aidants : « On a besoin d’un exutoire, de même qu’on a besoin de travailler pour se sentir plus léger. Or, les cercles de parole organisés par les associations sont souvent organisés en journée, pendant notre temps de travail. Pour moi, la mission première d’un DRH est d’assurer le bien-être au travail de ses employés. Et si vous vous voulez des salariés efficaces, disponibles, en pleine possession de leurs capacités, il faut nous aider à porter ce poids. »

Enfin, comme certaines le font pour les places en crèches, les entreprises pourraient également réserver des places en IME ou en centre d’accueil pour adultes en situation de handicap pour leurs salariés aidants.

En définitive, les entreprises peuvent contribuer à rendre la vie de ces familles « la plus normale possible », selon les mots de Laure. « Ce n’est pas parce qu’on a un enfant handicapé qu’on ne peut plus travailler ou qu’on ne peut travailler qu’à mi-temps. »

*Chiffres extraits d’une étude de l’Unapei, réalisée auprès de 3 940 parents ayant un ou plusieurs enfants avec trouble du neuro-développement, en situation de polyhandicap ou handicap psychique, publiée le 2 octobre 2023.

Visuel promo

Bien s’équiper pour bien recruter