« On ne peut plus résumer un candidat à un CV et une entreprise à une offre d’emploi »
Retour sur 15 ans d’innovations pour améliorer l’expérience candidat, avec François Leverger, directeur général d’HelloWork.
Comment recrutait-on il y a 15 ans ? A quoi ressemblaient les jobboards ?
François Leverger : Les jobboards s’apparentaient encore à des journaux par certains aspects ! Si on avait bel et bien changé de média, le fonctionnement restait assez similaire. Ce qui a d’abord marqué le passage du papier au web, c’est le fait de diviser par dix le prix de la diffusion d’une offre, avec pour conséquence de démultiplier le nombre d’offres visibles et le nombre de personnes qui avaient accès à ces offres. Les offres sont aussi devenues visibles plus longtemps. Mais à part ça, le principe était toujours le même : quand une entreprise voulait faire savoir qu’elle recrutait, elle achetait de l’exposition. De fait, les acteurs qui avaient de plus gros moyens achetaient plus d’espace pour leurs offres et étaient plus visibles que les autres. Aujourd’hui, ça n’existe plus : on est passé d’un modèle one-to-many à un modèle one-to-one.
Quand on observe le monde du recrutement d’il y a 15 ans à la lumière de 2024, qu’est-ce qui semble définitivement d’une autre époque ?
F.L. : Le rapport de force entre le recruteur et le candidat ! Dans les années 2010, le rapport de force semblait presque gravé dans le marbre, même quand le marché n’était pas au bénéfice du recruteur. C’est une vision archaïque, quand on songe aux changements profonds qui se sont opérés depuis. Le travail a beaucoup moins l’aura statutaire qui lui était associée, c’est devenu un « moyen de ». Mais on ne peut pas non plus dire que les Français ne s’intéressent plus au travail, leur intérêt a simplement pris une autre forme.
Je ne suis pas non plus d’accord pour qu’on parle de candidats qui auraient pris le pouvoir. Ce que j’y lis entre les lignes, c’est un « c’était mieux avant » qui ne permet pas vraiment d’avancer. La motivation des salariés n’est simplement plus la même : leur intérêt pour une boîte se trouve dans ce qu’elle va porter, la capacité à les faire progresser, à maintenir leur employabilité, à proposer des missions intéressantes et, in fine, à avoir un travail qui est plutôt agréable. Et c’est un marqueur très clair de l’évolution du marché ces 15 dernières années.
Et cette évolution oblige à penser la mise en relation différemment ?
F.L. : Oui, notamment pour les jeunes générations, chez qui cette nouvelle perception est encore plus évidente. On ne peut plus se contenter d’une offre d’emploi. Il y a 15 ans, on entendait que les réseaux sociaux allaient tuer les jobboards, mais quelle définition donne-t-on aujourd’hui à ces jobboards ? hellowork.com en 2024 n’est plus le même jobboard qu’il y a 15 ans, c’est une plateforme de mise en relation et dans cette plateforme de mise en relation, il y a un jobboard qui montre des offres d’emploi. Le CV et l’offre d’emploi sont toujours incontournables, mais on ne peut plus résumer un candidat à un CV et une entreprise à une offre d’emploi. Si les offres d’emploi et le CV sont toujours là, contrairement à ce que certains annonçaient il y a 15 ans avec l’apparition des réseaux sociaux, c’est parce qu’ils restent l’un des moyens les plus simples et plus rapides de faire savoir qu’on recrute et de faire savoir qu’on cherche un travail.
Ce que les réseaux sociaux ont apporté, c’est de permettre des discussions, des échanges et des prises de parole, du côté des entreprises comme du côté des candidats. Les candidats se dévoilaient plus, les entreprises pouvaient travailler leur image employeur, ce qui a fait des réseaux sociaux des espaces finalement complémentaires aux jobboards. Il y a 15 ans, on segmentait les différents canaux et leurs usages, les frontières sont beaucoup plus poreuses aujourd’hui et considérer les jobboards de 2024 uniquement comme des listes d’offres d’emploi est archaïque.
Avec quelles conséquences pour les recruteurs ?
F.L. : La nécessité d’avoir une continuité dans leur stratégie de communication, étant donné que l’accès à l’information est ultra simplifié ! On parle de marque employeur, mais je lui préfère la réalité employeur. Le terme de « marque » m’inspire des entreprises qui réfléchissent à l’histoire à inventer pour plaire. La réalité employeur implique de travailler sur ce que l’on fait, ce que l’on est concrètement pour pouvoir le raconter ensuite à des candidats qui cherchent une mission stimulante, une équipe accueillante, une entreprise qui a des valeurs…Et cette réalité employeur sera différente d’une entreprise à l’autre : pour l’une, ce sera montrer son engagement à l’échelle sociétale, pour l’autre cela résidera plutôt dans sa capacité à proposer aux bons candidats un job rémunérateur et pas trop loin de leur domicile. Les entreprises ont énormément évolué sur le sujet ces 15 dernières années.
La réalité employeur, c’est de la transparence. On parlait des réseaux sociaux et de l’information disponible. Qu’est-ce qui empêche un candidat de contacter un salarié de l’entreprise pour en savoir plus sur son quotidien ? Autant être aligné et transparent, savoir sur quoi on est bons, savoir sur quoi on l’est moins. Pour prendre un exemple concret, chez HelloWork, on ne propose pas de full remote et on l’assume. Et on a envie d’attirer des candidats qui n’ont pas envie non plus de full remote.
On ne peut pas évoquer 15 ans de recrutement sans parler de transparence des salaires…
F.L. : C’est comme tout grand mouvement, les entreprises ne sont pas obligées d’être transparentes, mais, à partir du moment où il y a un certain nombre d’entreprises poussées par un certain nombre d’acteurs comme nous… les choses changent. On a un peu poussé les murs, parce qu’on avait des convictions sur le sujet. Certes, ça peut brusquer certains interlocuteurs, mais si on ne joue pas ce rôle, qui le jouera ? A nous de faciliter et d’accélérer la transparence. C’est important pour les candidats, mais c’est aussi grâce à la transparence qu’on fidélise mieux ses collaborateurs.
Qu’est-ce qu’on peut souhaiter aux candidats et aux entreprises pour le futur ?
F.L. : Un marché toujours plus équilibré ! Faire vivre cette vision du recrutement comme d’une adéquation entre des besoins de compétence d’un côté et des compétences de l’autre. En d’autres mots, je souhaite que ce ne soit pas un monde conflictuel et que ce soit un monde dans lequel les entreprises font tout pour garder leurs collaborateurs, c’est-à-dire leur proposer « le job d’après » au sein-même de leur structure. Mais si ce « job d’après » n’existe pas en interne, ce n’est pas non plus grave, dès lors qu’on estime qu’on ne pouvait pas le proposer.
Pour réussir à développer une entreprise, il faut des hommes et des femmes, des équipes qui développent des solutions qui fonctionnent, qui ont du sens, qui apportent quelque chose à quelqu’un. Et à partir de ce moment-là, on se développe économiquement. Mais la base, c’est l’humain. Je ne crois d’ailleurs pas une seconde que l’IA va remplacer cette richesse humaine. Les métiers évoluent, certaines tâches sont automatisées. Si la machine remplace l’ouvrier, l’ouvrier va apprendre à programmer cette machine et à assurer sa maintenance. Le mouvement est impulsé par l’innovation, mais les compétences suivent.
Avant de vouloir recruter massivement, il faut déjà tout faire pour essayer de suivre ce mouvement, de garder ses collaborateurs. Et pour ça, il faut être capable de questionner en permanence l’adéquation entre leurs attentes et les besoins de l’entreprise. Des plateformes de cooptation comme Basile peuvent faciliter ça et réunir les conditions d’une rencontre fructueuse entre l’entreprise et ses collaborateurs, mais la balle est aussi dans le camp des salariés qui doivent lever la main pour dire qu’ils ont envie de changer de job. Sans que ça ne soit vécu comme une trahison par le manager ou l’employeur.