Offres d’emploi non pourvues : un problème d’orientation
Lors de la 2ème conférence sociale qui a eu lieu au mois de juin, François Hollande a évoqué des pistes pour s’attaquer au problème des offres d’emplois non pourvues. Un paradoxe bien français alors que le taux de chômage est au plus haut : les entreprises affirment en effet avoir des difficultés à pourvoir certains postes, faute de candidats. Pourquoi, chaque année en France, entre 200.000 et 300.000 offres d’emploi ne débouchent sur aucune embauche ? Pour Patrice Boulogne, Directeur Régions Paca, Rhône-Alpes & Grand Est chez Page Personnel, c’est d’abord un problème d’orientation.
Les offres d’emplois non pourvues est-ce un mythe ou une réalité ?
C’est une réalité. Il existe un certain nombre de postes pour lesquels les entreprises ne trouvent pas de candidats, en raison du décalage entre leurs besoins et les profils disponibles. Par exemple sur les métiers d’agents de maîtrise et de cadres de premier niveau, nous observons ce décalage plus particulièrement dans le domaine technique : sur les métiers informatiques, dans l’ingénierie orientée recherche & développement, les métiers de projeteurs dans le bâtiment, la mécanique, les techniciens courants faibles, les techniciens CVC les ingénieurs ou projeteurs spécialisé en béton armé, nous constatons de réelles difficultés pour trouver des candidats qualifiés.
Ce sont des métiers traditionnellement pénuriques, comme expliquer que ces offres ne trouvent pas preneurs ?
Il y a plusieurs explications. Si on prend l’exemple du métier de projeteur dans le domaine du béton armé, c’est un métier technique qui attire assez peu les jeunes. Par ailleurs, les jeunes avec un BTS ou un DUT en poche, qui pourraient pourtant exercer ce métier avec un niveau Bac+2, sont souvent poussés par leurs écoles à poursuivre des études d’ingénieur. Un choix qui peut être judicieux, car on manque aussi cruellement d’ingénieurs en France. Mais parfois, un bon BTS est souvent mieux valorisé en terme d’employabilité que certains master ou diplôme d’ingénieur. Le problème des offres d’emplois non pourvues vient d’abord de ce décalage entre l’orientation des jeunes et la réalité du marché français du travail.
D’où vient ce problème d’orientation ?
Ce décalage commence dès le collège. Depuis des années on pousse les jeunes vers des métiers scientifiques ou intellectuels alors que beaucoup d’entre eux pourraient s’orienter plus tôt vers un BEP ou un BacPro et trouver plus facilement un emploi dès la fin de leurs études.
Le problème vient donc toujours de la dévalorisation des filières techniques dans les mentalités, y compris chez les parents qui poussent leurs enfants dans des filières complètement bouchées. Est-ce que ça peut changer ?
Des efforts sont faits pour améliorer l’orientation. Les outils pédagogiques disponibles dans les cours technologiques sont également plus en phase avec ceux qui sont utilisés dans le monde professionnel. Ces matières sont moins considérées comme secondaires aujourd’hui. Heureusement, il y a une prise de conscience : le monde de l’emploi et celui de l’éducation sont en train de se rapprocher. Mais quand on voit le nombre de chômeurs et en face le nombre d’emplois non pourvus, il y a urgence.
C’est un problème qui ne va pas se régler du jour au lendemain, comment faire pour réduire ce décalage ?
C’est le rôle de l’Etat, de la formation et des entreprises. Dans certains métiers comme les bouchers, boulangers, assistants maternels ou agents d’entretien qui sont difficiles à pourvoir des actions se mettent en place entre le service public de l’emploi, les partenaires sociaux et les régions. Les entreprises, en particulier les grands groupes du CAC40, ont aussi leur rôle à jouer en créant leur propre université ou école de formations internes. Cela est déjà le cas dans de nombreux grands groupes). Mais il ne faut pas oublier les PME. Les petites et moyennes entreprises sont les principaux employeurs qui recrutent aujourd’hui. Il faut le dire aux jeunes et leur expliquer la réalité du travail dans ces petites entreprises et leurs besoins. Car là encore il existe un décalage entre les attentes des PME vis-à-vis des jeunes diplômés et la perception du monde de l’entreprise par la génération Y. Souvent les jeunes ingénieurs préfèrent en effet intégrer de grands groupes plutôt que des PME alors qu’ils pourraient aussi bien s’épanouir et progresser dans une structure de plus petite taille. De la même manière, les jeunes ingénieurs se détournent de l’industrie lourde pour aller vers les services ou la finance alors qu’on a besoin d’eux pour des projets industriels.
Est-ce que les entreprises ne sont pas aussi trop sélectives dans leur recrutement en ayant tendance à chercher à tout prix le mouton à cinq pattes ?
C’est vrai que certaines entreprises formulent des demandes de profils très complexes avec des exigences importantes, en particulier au niveau du diplôme. En tant que cabinet de recrutement notre rôle justement c’est de les conseiller et de leur faire comprendre que sur certains profils, dans le contexte actuel, les candidats disponibles sur le marché ne sont pas très nombreux.
Est-ce que le manque de mobilité des candidats ne pose pas aussi un problème ?
Effectivement, des postes à Marseille, Aix-en-Provence, Lyon ou Paris sont pourvus assez rapidement. Pour des postes à Metz, en Franche-Comté ou en Bourgogne, c’est beaucoup plus compliqué. Compte-tenu des incertitudes sur le marché du travail, les candidats sont clairement moins mobiles. Ce n’est jamais simple de déménager toute sa famille quand on n’est pas sûr à 100% que l’emploi qu’on vous propose sera durable.
Il n’y a donc pas de solution miracle pour rapprocher l’offre de la demande…
Non mais les choses évoluent tout de même. Le développement de l’alternance fait beaucoup de bien. Aujourd’hui on peut préparer un diplôme Bac+5 en alternance, ce mode de formation permet d’acquérir une véritable expertise sur le terrain. C’est le parfait mariage entre la vie scolaire et la vie professionnelle. C’est une voie qui devrait être davantage creusée. De la même manière l’intérim est en train de changer d’image auprès des cadres et il existe des missions très intéressantes à forte valeur ajoutée notamment dans les métiers techniques, la finance ou les achats par exemple. En développant simplement l’accès à l’alternance et à l’intérim en tant que tremplin professionnel, je pense qu’on pourrait régler en partie le problème des offres d’emploi non pourvues.
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