Comment l’IA générative va changer le quotidien des recruteurs

Usages, compétences clés, stratégie à adopter : Pierre-André Fortin, expert en recrutement et en sourcing, partage son point de vue.

Les recruteurs doivent-ils craindre l’IA générative
« L’IA générative, comme la calculatrice autrefois, n’a pas vocation à remplacer l’apprentissage, mais à accompagner l’utilisateur en soulageant certaines tâches pour mieux se concentrer sur la compréhension et la créativité. » © xy / stock.adobe.com

Depuis fin 2022, l’intelligence artificielle a fait une entrée fracassante dans la vie du grand public comme dans celle des recruteurs. Génération automatique de fiches de poste et d’offres d’emploi, transcription instantanée d’entretiens, scoring de profils… Les outils se multiplient, tout comme les débats. Mais au-delà de cette effervescence, comment l’IA transforme-t-elle réellement le quotidien des recruteurs ? Et surtout, comment en tirer parti intelligemment, sans se déshumaniser ?

Pierre-André Fortin, expert en recrutement complexe et en sourcing stratégique, nous livre quelques éléments de réponse.

Une révolution en marche dans le quotidien des recruteurs

L’arrivée de l’IA dans le quotidien des recruteurs a d’abord mêlé curiosité et prudence. « Ma première prise de conscience, c’est lorsque j’ai vu qu’il était possible de générer automatiquement une description de poste et une scorecard », se souvient Pierre-André Fortin.

Mais le vrai tournant fut l’arrivée des fonctions vocales et de transcription, changeant radicalement la prise de notes : « D’un seul coup, nous avions accès à des transcriptions d’entretien rapides et exploitables immédiatement, avec toute la complétude d’un parcours ou d’un poste, même les plus complexes comme la data. »

Ce gain d’efficacité sur les tâches répétitives (rédaction de fiches de poste, d’offres d’emploi, de comptes-rendus, de mails…) vient libérer du temps pour ce qui fait la richesse du métier : le contact humain et la compréhension fine des parcours.

Gagner en efficacité pour mieux renouer avec l’humain

Si certains craignent que l’IA ne vienne remplacer le recruteur, Pierre-André Fortin nuance : « Les recruteurs qui considèrent que leur métier se limite à visualiser des CV et ceux qui refusent d’évoluer, oui, risquent de disparaître. Mais pour les autres qui s’en emparent, l’IA devient un levier qui augmente leur valeur. »

Il est probable que certaines missions, très opérationnelles, diminuent sous l’impact de l’IA. C’est le cas notamment dans l’intérim « où l’automatisation à toute heure des relances aux candidats risque de bouleverser le secteur ». Mais cet appauvrissement sur certaines missions ira de pair avec la montée en puissance de tâches plus stratégiques. Pour notre expert, « le métier va s’enrichir, même si les effectifs vont probablement diminuer. »

Transformer le sourcing, sans perdre la relation

L’IA révolutionne le sourcing, jusque-là fastidieux. « Avant, nous faisions du sourcing très manuel : on allait chercher toutes les variantes d’un intitulé de poste, on réalisait des tableaux, on itérait. Aujourd’hui, si je veux les principales occurrences pour un poste de commercial, l’IA va me les fournir en quelques secondes », explique Pierre-André Fortin. Un gain de temps précieux pour délaisser la recherche brute et investir dans la relation.

Écrire mieux et plus vite

Côté rédaction, l’usage de l’IA est également très répandu. Elle simplifie la rédaction d’offres d’emploi, de messages d’approche, de mails, la production de compte-rendus… « C’est une dictée magique, un vrai facilitateur », note l’expert, avant d’ajouter  : « Pourquoi s’en priver ? Personnellement, ça a changé ma vie. La rédaction m’a toujours mise sous contrainte, elle a toujours été une source d’angoisse. Aujourd’hui, tout est plus simple. »

Mais Pierre-André Fortin met en garde contre une tentation trop mécanique : « L’IA ne remplacera jamais l’émotion d’un échange réel ni la relation. » Le risque est que certains recruteurs, souvent peu formés, se reposent trop sur la machine au détriment de l’humain, de l’analyse, de l’évaluation.

Curiosité, la compétence clé à l’ère de l’IA ?

Pierre-André Fortin insiste sur la nécessité de cultiver sa curiosité : « C’est une posture d’apprentissage. Je le dis souvent à mes étudiants : ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’ils copient-collent du texte produit par l’IA, mais qu’ils réfléchissent à la manière dont ils l’ont questionnée. » Car désormais, l’IA ne doit plus être un simple générateur de texte, mais un partenaire de travail : « Les recruteurs doivent apprendre à dialoguer avec l’outil, lui poser les bonnes questions, le challenger, lui donner du contexte, le pousser dans ses retranchements. C’est ça, l’intelligence humaine. »

Dans un univers où le niveau moyen sera accessible à toutes et tous, la vraie valeur des meilleurs recruteurs se jouera dans leur capacité à dépasser les textes produits, pour apporter nuance, réflexion et singularité.

Rester critique face à l’outil

L’IA, en s’appuyant sur des données humaines, reproduit et parfois amplifie nos biais. Dans le recrutement, cela peut fausser la restitution des synthèses, influencer l’interprétation des profils, ou encore injecter des stéréotypes dans les analyses. Pierre-André Fortin insiste : « il faut apprendre à penser contre soi-même, à porter un regard critique continuel, à systématiquement requestionner le sens de ce que produit l’IA. »

C’est cette vigilance constante qui permet de garder la main, sans céder à l’automatisme. Cela passe par des tests réguliers, une relecture attentive et des garde-fous humains pour encadrer l’usage de ces technologies.

Même les plus expérimentés ne sont pas à l’abri des dérives algorithmiques. Notre expert partage un exemple concret : « J’utilise une IA pour transcrire et synthétiser mes entretiens. Je l’ai entraînée sur des centaines de synthèses de ma main. Et depuis peu, je remarque qu’elle a tendance à me ressortir des phrases toutes faites, presque mot pour mot. » Un signal d’alerte : sans réentraînement ni ajustements, l’IA peut appauvrir le contenu, lisser la singularité, et figer la pensée. D’où l’importance de rester acteur face à l’outil, jamais simple utilisateur.

De l’expérimentation à la stratégie

Si l’IA générative s’installe peu à peu dans notre quotidien, son adoption au sein des entreprises, et notamment des services RH, reste encore souvent artisanale. L’expérimentation prime sur la stratégie. « Tout le monde ou presque a aujourd’hui dans sa poche un ChatGPT, un Mistral ou un Claude, et s’amuse avec. Chacun fait sa tambouille dans son coin, sans politique claire ni investissements structurés. » Pour Pierre-André Fortin, cette prudence s’explique par des freins bien réels : protection des données, conformité au RGPD, sécurité des usages, questions éthiques… « Ces freins sont légitimes et expliquent en partie la lenteur des entreprises à engager une transformation en profondeur. Toutefois, une erreur stratégique serait de ne pas y aller. »

Ce constat appelle à un cadrage plus clair, des investissements réfléchis, et surtout une véritable stratégie d’intégration dans les métiers, au-delà des bricolages individuels.

Horizon 2030 : vers un métier encore plus humain ?

Malgré toutes ces transformations, une chose est sûre pour notre expert : le cœur du métier ne changera pas. Les méthodes évolueront, les outils se multiplieront, mais la capacité à engager, comprendre et créer du lien restera l’essence du recrutement. « Il y a des invariants. Mais mon travail, côté sourcing par exemple, reste et restera de convertir des personnes qui ne sont pas candidates, qui n’ont pas répondu à une annonce. Retenir leur attention, avoir un impact… Sur ce terrain, l’IA ne nous concurrencera pas. »

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Bien s’équiper pour bien recruter