Mails professionnels : l’arrêt surprenant de la Cour de cassation
Les mails envoyés ou reçus par un salarié via sa messagerie professionnelle constituent des données personnelles au sens du RGPD, selon la Cour de cassation.

Un salarié peut-il demander à son employeur d’avoir accès à des mails qu’il a reçus et envoyés via sa messagerie professionnelle en vue de les produire comme preuves dans le cadre d’un procès ? Dans un arrêt en date du 18 juin 2025, la Cour de cassation estime que ces courriels constituent des données à caractère personnel au sens du RGPD (règlement général sur la protection des données). L’employeur doit donc en permettre l’accès sauf si leur contenu porte atteinte aux droits et libertés d’autrui.
Licencié pour faute grave
L’affaire concerne un ancien directeur associé, qui avait été licencié pour faute grave le 30 mars 2018, et avait contesté cette décision devant le conseil de prud’hommes. En l’espèce, l’employeur justifiait sa décision par des faits de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes dont se serait rendu coupable le salarié.
Devant les juges, l’ancien salarié avait invoqué l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement, la nullité de la convention de forfaits jours et le non-respect du droit d’accès à ses données, en l’occurrence à des mails qu’il avait envoyés et reçus via sa messagerie professionnelle et qu’il souhaitait utiliser comme preuves. « Souvent, dans le cadre d’une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement pour faute grave, l’employeur procède, le temps de la procédure, à une mise à pied à titre conservatoire, ce qui signifie en pratique que le collaborateur quitte l’entreprise très rapidement et n’a plus accès à sa boîte mail et autres outils professionnels », nous éclaire Stéphanie Poussou, avocate spécialiste en droit du travail chez Capstan Avocats.
Le 25 mai 2023, la cour d’appel de Paris a estimé que le licenciement du directeur associé était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en raison notamment du caractère incomplet des éléments de l’enquête pour harcèlement sexuel produits lors des débats. Elle a également invalidé la convention de forfaits jours faute de suivi effectif et régulier de la charge de travail. Elle a enfin condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts au salarié pour avoir refusé de transmettre au salarié ses courriels professionnels postérieurement à son licenciement.
Une décision inédite de la Cour de cassation
L’employeur s’est donc pourvu en cassation. Dans son arrêt, la Cour de cassation précise que : « Les courriels émis ou reçus par le salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD et le salarié a le droit d’accéder à ces courriels, l’employeur devant lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires) que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. »
« Cette décision du 18 juin va faire date, estime Stéphanie Poussou. C’est la première fois que la chambre sociale de la Cour de cassation s’intéresse à la question du droit d’accès et notamment à la nécessité de communiquer les courriels envoyés et reçus par le salarié » Pour l’avocate, « il s’agit d’un détournement du droit d’accès aux données consacré à l’article 15 du RGPD (règlement général sur la protection des données) à des fins probatoires ». Cet article dispose que « la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel ».
« L’arrêt de la Cour de cassation va à l’encontre de la position de la Cour de justice de l’Union européenne et de celle du comité européen de la protection des données, qui garantissent un droit d’accès à des données personnelles mais pas à des documents », distingue l’avocate.
Des demandes d’accès aux mails en hausse
« Aujourd’hui, les demandes de droit d’accès à la boîte mail par des salariés ne cessent d’augmenter, car ils veulent se servir de ces messages comme preuves. Par exemple pour contester un licenciement pour faute grave, ou bien une convention de forfait jours, en se basant par exemple sur les heures d’envoi et de réception des mails pour prouver que le temps de repos quotidien et/ou hebdomadaire n’a pas été respecté et qu’on doit leur payer des heures supplémentaires », développe Stéphanie Soussou.
Cette décision inédite pourrait donc ouvrir la porte à une multiplication de ce type de contentieux et au risque de voir le conseil des prud’hommes suivre la position de la Cour de cassation dès le début de la procédure.
« Le meilleur moyen pour un employeur de prévenir ces risques est de travailler sur les durées de conservation boites mails et de bâtir une charte informatique solide à l’échelle de l’entreprise. Vous pouvez, par exemple, y préciser que quand un salarié quitte l’entreprise, sa boite mail est supprimée dans un certain délai », illustre Me Poussou.
Comment faire face à ces demandes en tant qu’employeur ?
Enfin, pour toute demande de droit d’accès à des données, l’experte conseille de suivre à la lettre la méthodologie indiquée par la Cnil dans une fiche réactualisée le 31 janvier 2025 : « Face aux demandes volumineuses, la Cnil propose une méthodologie permettant aux employeurs de répondre de manière plus efficace aux collaborateurs :
– établir un tableau récapitulatif mentionnant la liste des courriels conservés où le salarié apparaît comme expéditeur, destinataire ou cité ;
– inviter le salarié à préciser sa demande afin d’en faciliter le traitement, en soulignant la charge de travail que représente une extraction complète ;
– fournir les données demandées en fonction des précisions apportées par le salarié. »
« La Cnil rappelle que, lorsque des courriels sont concernés par une demande d’accès, les métadonnées (horodatage, destinataires) ainsi que les données à caractère personnel contenues dans ces courriels doivent être communiquées, sous réserve qu’elles ne portent pas atteinte aux droits des tiers. En matière de droit d’accès à des données contenues dans des courriels professionnels, le respect du droit à la vie privée, le secret des affaires et le secret des correspondances peuvent parfois faire obstacle à la communication de certaines données personnelles au demandeur », conclut Stéphanie Poussou.