Interdiction du télétravail chez Amazon : une fausse bonne idée ?
Le géant américain n’est pas le premier à imposer un retour à temps plein au bureau. Mais quels sont les effets escomptés de cette obligation ?
« En observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants. Nous constatons qu’il est plus aisé pour nos employés d’apprendre, de concevoir, de se former et de renforcer notre culture ; collaborer, échanger et inventer sont plus simples et plus efficaces ; enseigner et apprendre les uns des autres est plus facile ; et les équipes ont tendance à être mieux connectées les unes aux autres. » Le message envoyé aux collaborateurs d’Amazon, lundi 16 septembre, est signé d’Andy Jassy, le PDG du groupe.
A partir du 2 janvier 2025, les employés administratifs de la multinationale, soit 300 000 à 350 000 collaborateurs à travers le monde, devront retourner cinq jours sur cinq au bureau. Comme bon nombre d’entreprises, Amazon avait mis en place le télétravail à marche forcée pendant la pandémie. Après une période de full remote, le groupe avait déjà rappelé ses équipes administratives sur site, à raison de trois jours obligatoires par semaine, en février 2023.
Un retour au bureau au nom de la productivité collective et de la collaboration
Un épisode qui fait écho à d’autres décisions de chefs d’entreprise américains. La plus médiatisée reste celle d’Elon Musk, qui avait imposé à tous les salariés de X un retour au bureau à raison de 40h minimum par semaine, en novembre 2022 : « Nous modifions également la politique de Twitter de sorte que le travail à distance n’est plus autorisé, sauf exception spécifique. Les responsables m’enverront les listes d’exceptions pour examen et approbation », avait-il indiqué dans un mail interne. Une mesure similaire à celles prises dans les autres entreprises dont il détient les rênes : Tesla et SpaceX.
Courant 2023 et 2024, d’autres géants américains (Apple, Disney, Salesforce, Google, Open AI, Meta, Zoom…) ont battu le rappel au bureau, à divers degrés : de trois jours à cinq jours de présence obligatoire par semaine. Les arguments avancés étaient les mêmes que ceux de la direction d’Amazon aujourd’hui : une volonté de renforcer la collaboration et la productivité collective, de favoriser l’innovation et la créativité des équipes et de rompre l’isolement des collaborateurs.
Une obligation difficile à accepter pour les salariés américains
Une pilule difficile à avaler pour de nombreux salariés américains, qui s’étaient habitués à un nouvel équilibre de vie depuis la crise sanitaire. Certains avaient même choisi de déménager loin des grandes villes pour bénéficier d’un meilleur cadre de vie. Pas étonnant que le changement de cap dans ces grands groupes se soit donc traduit par des grèves, des manifestations, mais aussi des vagues de départs. Et notamment chez les cadres : selon une enquête du cabinet Gartner, parue en mai 2024, 33% des cadres supérieurs ayant reçu un ordre de retour au bureau ont déclaré qu’ils quitteraient leur entreprise actuelle pour ce motif.
Au-delà du mécontentement des salariés, le retour au bureau a-t-il un impact positif sur la performance de l’entreprise ? Sur la question de la productivité, les études divergent. Quand certaines font état d’une amélioration de la productivité jusqu’à 13% (Nicholas Bloom, 2015), d’autres constatent une chute de celle-ci, jusqu’à 30% (d’après les travaux de Morikawa , au Japon, en 2021). Une nuance importante a été apportée par une étude de juillet 2023, effectuée par l’OCDE dans 25 pays : la productivité s’améliore au cours des premiers jours de télétravail, mais chute au-delà de deux jours de travail à distance par semaine.
Où en est-on en France ?
En France, certains groupes ont, eux aussi, rappelé leurs salariés sur site. Début novembre 2023, une étude Slack OpinionWay réalisée auprès de 1 000 travailleurs du savoir, observait que 7 entreprises sur 10 imposaient des jours de présence obligatoires au bureau. En revanche, rares sont ceux qui reviennent au 100% présentiel.
En outre, dans l’Hexagone, le contexte post-Covid est bien différent que dans d’autres pays où le télétravail s’était davantage ancré dans la culture. Ainsi, selon une étude du think tank britannique Centre for Cities, basée sur l’observation de six villes mondiales, les salariés français sont ceux qui sont le plus revenus au bureau. A Paris, on travaille en moyenne 3,5 jours par semaine en présentiel, contre 3,2 jours à Singapour, 3,1 à New York, 2,8 à Sydney et 2,7 à Toronto et à Londres. Paris se distingue également par un taux de travailleurs en full remote extrêmement bas : seuls 5% des travailleurs de la capitale française travaillent à distance à temps plein, contre 12 à 15% dans les autres grandes villes et jusqu’à 25% à Toronto.
Pour Sarah Proust, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, « rendre la présence au bureau obligatoire n’est peut-être pas nécessaire » car « les salariés trouvent bénéfiques pour eux et pour leur travail de venir au bureau ». Elle incite plutôt les entreprises à « faire le bilan de la pratique du télétravail depuis quatre ans, de mettre en place des outils adaptés aux missions de l’entreprise, d’organiser un télétravail plus collectif qu’individuel et d’interroger les pratiques managériales et leur articulation avec la stratégie de l’entreprise et les espaces de travail ».
Un mouvement mondial de retour au bureau ?
A l’échelle mondiale, moins de 10% des leaders RH anticipent un déclin du télétravail d’ici fin 2024, selon une étude HireRight. La plupart d’entre eux y voient en effet un levier essentiel pour attirer de nouvelles recrues, un moyen d’élargir le vivier de candidats à l’international et une garantie de fidélisation de leurs talents sur des marchés du travail locaux souvent tendus.
Dans plusieurs études, le modèle hybride se dégage comme le plus désirable, à la fois côté salariés et entreprises. Reste à chacun à placer le curseur et à en définir les modalités en fonction de sa propre organisation du travail, de ses méthodes de management et de sa culture. Alors que le temps est venu pour de nombreuses entreprises de renégocier leur accord de télétravail triennal, les employeurs vont devoir se poser cette question cruciale, soumise par Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH : « En quoi le télétravail peut-il être un atout pour mon business et mon activité ? »