IA générative : « Les recruteurs customisent leur chatbot pour mieux répondre à leurs besoins »
L’IA générative, les recruteurs l’ont découverte fin 2023, testée en 2024. Que leur réserve 2025 ?

« En France, les recruteurs sont très curieux vis-à-vis de l’IA générative. On en discute beaucoup, on y réfléchit beaucoup, mais, en pratique, on l’utilise moins que dans d’autres pays, explique Donatien Mahieu, Talent Acquisition and Sourcing Expert. A l’inverse des Anglo-Saxons, qui voient l’IA générative comme un compagnon, les Français l’ont d’abord observée avec défiance, comme un concurrent qui allait finir par les remplacer. »
« L’IA générative n’est pas la panacée mais pas le diable non plus ! »
D’après l’expert, qui a participé au dernier Sourcing Summit, qui s’est déroulé les 9 et 10 octobre à Amsterdam, les mentalités évoluent peu à peu : « Il faut l’envisager comme un moyen et non comme une fin. L’IA générative n’est pas la panacée mais ce n’est pas le diable non plus ! Il faut simplement prendre le temps de comprendre ses codes, dans une logique de ‘’Test and Learn’’. Les recruteurs commencent à comprendre les opportunités et les limites de l’outil. Le message du dernier Sourcing Summit était : ‘’La technologie, oui, mais au service de l’humain.’’ L’IA ne remplace ni le bon sens ni l’expérience. Il y a un vrai travail de fond à faire pour éviter de mal utiliser ces outils ou de tomber dans des automatismes qui seraient contre-productifs ou, pire, discriminatoires. »
L’heure est aujourd’hui à la personnalisation des modèles pour mieux les adapter aux usages de chacun : « Les RH comme les autres services de l’entreprise sont de plus en plus nombreux à créer leur propre modèle de langage, constate-t-il. Beaucoup d’entreprises européennes ont présenté au Sourcing Summit leur propre chatbot, un outil que les recruteurs customisent en fonction de leurs besoins : de la création de fiche de poste à l’élaboration de scorecard en passant par l’envoi de messages personnalisés au candidat sous forme de texte, de vocaux ou de bandes dessinées. L’idéal est de venir enrichir l’apprentissage du chatbot de manière collaborative avec les apports des personnes qui vont utiliser l’outil : les managers, les développeurs, les RH, le service marketing. »
A titre d’exemple, on peut citer Iara, le chatbot d’EDF Recrute, doté de la reconnaissance vocale et capable de répondre à l’oral et instantanément aux questions des candidats. Ou encore DoctoGPT, le chatbot interne de Doctolib, qui permet à n’importe quel collaborateur d’avoir accès à un modèle de langage sécurisé et le plus en phase avec ses cas d’usage.
Vers une personnalisation pragmatique
« En open source, on peut se faire la main en créant son chatbot sur la plateforme Poe à partir d’une page blanche, conseille Donatien Mahieu. Mais on est rapidement limité par la capacité de la mémoire et le fait qu’on ne peut pas partager l’environnement avec d’autres personnes. Dans le contexte d’une entreprise, je conseille plutôt aux RH de se tourner vers les GPTs, les chatbots personnalisés d’OpenAI. »
Cette possibilité permet d’adapter le modèle aux usages spécifiques des équipes : outil de planification du travail de l’équipe (team plans), digital workplace qui facilite les interactions entre les collaborateurs… « De cette manière, les managers, mais aussi les RH et la direction peuvent s’assurer que le modèle de langage correspond à la fois aux besoins opérationnels et qu’il s’inscrit dans le cadre légal et éthique de l’utilisation de l’IA. L’idée est de garder le contrôle et d’éviter de laisser l’algorithme décider tout seul. La finalité étant de permettre aux membres d’une même équipe de collaborer plus efficacement en se partageant des modèles de prompt robustes. »
Ces chatbots personnalisés peuvent également être intégrés à d’autres outils, tels que des ATS ou des bases de données : « A titre personnel, je les utilise pour automatiser la gestion des tâches dans des logiciels comme Make, Zapier ou Notion. Par exemple, je transmets une fiche de poste à Make, je lance mon outil d’IA générative qui va analyser la fiche de poste, me renvoyer les résultats dans Notion et m’envoyer une alerte pour me dire que mon analyse est disponible », témoigne le recruteur.
« Connais-toi toi-même et connais ton marché ! »
Grâce au gain de temps permis par la technologie, un nouveau champ s’ouvre aux sourceurs : le Talent Intelligence, un ensemble de méthodes, largement déployées dans les pays anglo-saxons, pour collecter, analyser et interpréter les données relatives aux candidats : « Dans un contexte où les entreprises, comme les individus, partagent de plus en plus d’informations sur ce qu’elles sont (leurs salaires, le nombre de jours de télétravail, les politiques de diversité et inclusion…), l’IA générative permet de collecter, de trier et de visualiser ces données de manière claire. Ce qui permet ensuite aux recruteurs de sélectionner et d’affûter les arguments les plus susceptibles de convaincre le candidat, en fonction des points forts de son entreprise par rapport à la concurrence », développe Donatien Mahieu.
Son conseil ? « Connais-toi toi-même et connais ton marché ! Avant de chercher à recruter 30 experts dont la moitié de femmes et un tiers de plus de 50 ans, commence par regarder si ces profils existent. Le recours à l’IA générative permet aux recruteurs de faire un meilleur benchmark (quel est le taux de turnover chez les concurrents ? Pour quelles raisons les salariés quittent-ils leur entreprise ? Quelles écoles ont-ils faites ? Par quelles entreprises sont-ils passés ?) et d’entrer dans une logique business plus rapidement. » Côté outil, l’expert conseille d’utiliser Clay ou Perplexity AI, des moteurs de recherche assortis d’un agent conversationnel, qui fournissent des réponses sourcées et actualisées.
« L’IA générative peut t’aider à aller plus loin que les informations contenues sur un CV. »
Enfin, Donatien Mahieu voit aussi dans l’IA générative une opportunité d’identifier ses propres biais et préférences et d’élargir son spectre de recherche de candidats : « Si je veux faire une requête sur une plateforme, je peux soumettre mon intitulé de poste à un GPT qui m’alertera si, par exemple, ce texte risque d’évacuer les candidates qui ont féminisé le titre de leur poste sur leur profil ou leur CV. L’IA générative peut aussi t’aider à aller plus loin que les informations contenues sur un CV : un collaborateur n’indiquera peut-être pas qu’il maîtrise tel logiciel, mais s’il travaille dans telle entreprise où tous les salariés l’utilisent, l’IA générative sera en mesure de te donner l’information. Un autre candidat n’indiquera peut-être pas qu’il est manager, pour ne pas être chassé, mais l’IA générative saura déceler qu’il encadre une équipe en entrant dans le détail de ses tâches. »
Selon lui, l’essor du concept HITL (Human in the loop) en 2025 va être un véritable « game changer » dans les outils d’IA et d’automatisation : « L’humain sera l’acteur clé dans les décisions critiques de l’IA, pour valider, ajuster ou même corriger ses résultats. L’idée, c’est de combiner la puissance de l’automatisation avec l’intuition et le jugement humain. Franchement, j’ai hâte de voir ça se déployer dans les solutions de recrutement et bien au-delà ! »