IA : « ChatGPT peut être un bon assistant à la rédaction d’offres d’emploi »

Expert en sciences de l’informatique, Adrian-Gabriel Chifu, explique les opportunités et les limites de l’intelligence artificielle générative pour les recruteurs.

Pour le chercheur, les nouvelles technologies d'IA induisent une transformation et non une disparition de certains métiers.
Pour le chercheur, les nouvelles technologies d'IA induisent une transformation et non une disparition de certains métiers. © Timon/stock adobe.com

Création artistique, génération de code informatique, production de note de synthèse… l’intelligence artificielle générative offre un vaste champ d’applications dans des secteurs professionnels divers. Qu’en est-il pour le recrutement ? Représente-t-elle une opportunité ou une menace ? Adrian-Gabriel Chifu, enseignant-chercheur (Maître de Conférences) en informatique à l’Université d’Aix-Marseille, nous éclaire.

En quoi l’irruption de l’intelligence artificielle générative marque-t-elle une révolution par rapport aux autres technologies d’IA ?

A-G.C : Le support mathématique de l’intelligence artificielle existe depuis les années 1940 et on peut parler d’AI winter [une période de réduction des financements et d’intérêt pour la recherche sur l’IA en raison d’attentes et de promesses non satisfaites] dans les années 1970-1980. Pendant longtemps, son développement a été limité par une combinaison de facteurs, dont la technique : les machines n’étaient pas capables de digérer les modèles, notamment les réseaux de neurones artificiels [des réseaux imitant le fonctionnement du cerveau humain et permettant aux programmes informatiques de résoudre des problèmes]. Cette technologie a ensuite été délaissée, avant un regain d’intérêt relativement modeste dans les années 1990, pour enfin exploser vers la fin des années 2000. Aujourd’hui, on entend parler partout de big data et d’IA.

La vraie rupture avec l’IA générative est qu’elle opère une révolution à la fois technologique et économique. ChatGPT-3 comprend 175 milliards de paramètres dans son réseau, ce qui est impressionnant. Il utilise une couche d’apprentissage par renforcement [le fait d’améliorer ses réponses en récompensant les bons comportements et/ou en pénalisant les mauvais], dont les résultats sont bien plus satisfaisants que les tentatives antérieures. Son ouverture au grand public permet de rajouter du matériel d’apprentissage à sa base de données.

Qui plus est, le fait que ces nouveaux outils génèrent des résultats très convaincants, sur les images comme sur le texte, ouvre aussi de belles perspectives sur le plan économique.

Quels sont les premiers usages de cette technologie dans un cadre professionnel et quels pourraient devenir les principaux dans les années à venir ?

A-G.C : Beaucoup d’applications sont imaginables. Comme le copywriting, les publications sur les réseaux sociaux. On peut aussi l’utiliser comme veille documentaire sur un sujet ou comme outil de synthèse, dans le cadre de travaux de recherche ou dans l’enseignement. Les professeurs peuvent également s’en servir pour créer des quiz ou des exercices. L’outil maîtrise aussi un grand nombre de langues et propose des traductions de qualité. Enfin, les développeurs l’utilisent pour générer du code informatique.

Les outils comme ChatGPT peuvent-ils être pertinents pour assister les recruteurs dans leurs missions (rédaction des offres d’emploi, sélection des CV…) ?

A-G.C : Pour la rédaction d’offres d’emploi, je pense qu’il peut être un bon assistant pour les recruteurs, car il est capable de générer un texte assez complet à partir d’un contexte donné. Le niveau de précision de la réponse dépend aussi de la qualité et du niveau de contexte de votre requête. Vous devez vous adresser à lui comme vous le feriez avec un enfant en bas âge, sinon, vous risquez d’obtenir une réponse très générique, voire hors sujet. Ce qui est certain, c’est qu’à partir d’un intitulé de poste, il sera capable de vous lister les missions et les compétences requises. Selon moi, le bon usage est de construire avec lui le squelette de votre offre d’emploi et, ensuite, de la personnaliser vous-même.

En ce qui concerne la sélection de CV, je suis plus sceptique. Je ne suis pas certain que cela soit très équitable, car l’outil comprend des biais. Il peut discriminer. Il privilégie souvent les personnes qui écrivent à sa manière, ce qui peut porter préjudice à une catégorie de candidats.

Je déconseille, enfin, de l’utiliser comme chatbot pour dialoguer avec les candidats, car l’interaction risque de ne pas être hyper personnalisée, à plus forte raison si ChatGPT ne connaît pas bien votre entreprise et sa culture.

Cet outil présente-t-il des risques ou des biais à garder à l’esprit quand on l’utilise ?

A-G.C : L’outil n’est pas infaillible, il peut produire des hallucinations, comme le prouve cet exemple : ChatGPT est capable de vous expliquer pourquoi 13 n’est pas un nombre premier alors qu’en vérité, c’en est un ! S’il fournit d’abord des informations exactes sur la définition d’un nombre premier [qui ne peut être divisible que par lui-même et par 1] et la bonne liste des premiers nombres premiers (dont 13 !), il se trompe ensuite quand il dit que 13 n’est pas un nombre premier, car, divisé par deux, il est égal à 6,5. Or, 6,5 n’est pas un nombre entier. Il faut donc toujours une supervision humaine pour vérifier les propos.

Autre point de vigilance : il n’est pas exhaustif. Des recherches complémentaires sont souvent nécessaires pour enrichir le résultat obtenu, en fonction de vos besoins.

Ses utilisateurs doivent également prêter attention aux sources. Comme le dit l’adage : ‘’Garbage in, garbage out’’ : l’outil se base sur des données glanées sur internet, qui peuvent se révéler erronées. Un modèle développé par Meta pour produire des textes scientifiques et techniques, Galactica, a été stoppé au bout de trois jours parce qu’il citait des sources qui n’existaient pas.

Il faut aussi vérifier l’actualité de la réponse. Une grande limite de l’outil est que sa base de connaissances s’arrête en juin 2021. Tout événement ultérieur susceptible de modifier la teneur de ses propos n’est donc pas pris en compte. Bard, l’IA développée par Google et qui devrait sortir prochainement sera, quant à elle, plus flexible et accédera en temps réel à l’ensemble du web.

Les usages faits de l’outil doivent aussi retenir notre attention : en principe, un certain nombre de règles ont été mises en place par son éditeur, OpenAI, pour que ChatGPT ne vous réponde pas si, par exemple, vous lui demandez comment fabriquer une bombe, ou toute autre chose illégale. Mais mieux vaut rester vigilant pour prévenir les dérives. Un outil précédemment conçu par Meta, BlenderBot3, avait été épinglé pour divulgation de théories racistes et complotistes.

Enfin, comme déjà évoqué, l’outil comprend des biais qui peuvent le conduire à discriminer certains groupes de personnes, ce qui risque de creuser les inégalités.

Ce type de technologies préfigure-t-il la disparition prochaine de certains métiers, y compris des métiers créatifs qualifiés, notamment dans la communication, le journalisme, l’enseignement ou le milieu artistique ?

A-G.C : Je ne pense pas. Cette question revient périodiquement au cours de l’Histoire : la révolution industrielle, l’expansion d’internet à grande échelle, l’apparition de Google et de Wikipédia ont suscité les mêmes inquiétudes. Or, on a plutôt constaté une transformation de certains métiers qu’une disparition.

Pour moi, l’IA n’est qu’un outil supplémentaire, qui peut constituer une aide, mais ne se substituera pas aux femmes et aux hommes qui exercent ces professions. Si on prend l’exemple d’un journaliste d’investigation, ChatGPT peut l’aider à collecter des données, mais, in fine, c’est l’humain qui va reconstituer le puzzle.

Si je suis entrepreneur et que je cherche un nom pour mon entreprise, je peux demander à l’IA des suggestions, en lui donnant du contexte pour avoir la réponse la plus adaptée. Si elle me soumet trois propositions, je ne choisirais peut-être aucune d’entre elles, mais une quatrième idée germera peut-être dans mon esprit, grâce à ce brainstorming.

Je vois cela d’un œil positif. Plutôt que de percevoir cette technologie comme une menace pour nos emplois, on doit réfléchir à comment nous adapter afin d’optimiser nos usages de cet outil.

Bien s’équiper pour bien recruter