Handicap psychique : « Les compétences de ces collaborateurs ne sont pas celles valorisées par l’employeur »
Les personnes en situation de handicap psychique sont victimes de discrimination à l’embauche et dans l’emploi. Quelles pistes pour mieux intégrer ces collaborateurs à la vie de l’entreprise ?
« Mes collègues pensent que je suis paresseux, grossier et égoïste », « Je ne peux pas contrôler mes émotions, je pleure, je me mets en colère, j’ai des crises de panique », « Il faut être sociable ici, mais je ne le suis pas, je devrais quitter ce travail ». Ces témoignages émanent tous de personnes en situation de handicap psychique. Une parole recueillie dans le cadre de 257 enquêtes conduites par trois chercheurs : Sarah Richard, Mustafa Ozbilgin et Sophie Hennekam. Nous avons interrogé cette dernière, enseignante-chercheuse en gestion à Rennes School of Business, pour mieux comprendre les enjeux de l’inclusion de ces personnes dans le monde du travail.
Qu’entend-on, précisément, par handicap psychique ?
Sophie Hennekam : Ce terme regroupe les troubles psychologiques diagnostiquables caractérisés par un dérèglement de l’humeur, de la pensée et/ou du comportement, qui affecte tous les domaines de la vie, y compris le travail. Ils sont de natures très variées : dépression, troubles de l’anxiété, de l’alimentation, bipolarité, autisme…
Qu’est-ce qui vous a conduit à mener ces 257 enquêtes auprès d’actifs atteints de maladies mentales ?
S.H : Le nombre de personnes atteintes de maladies mentales dans le monde est en augmentation. À l’échelle mondiale, un individu sur cinq est susceptible de souffrir d’une maladie mentale à un moment donné de sa vie.
Or, les recherches montrent que les personnes atteintes de maladie mentale sont plus susceptibles d’être au chômage, sous-employées et qu’elles touchent des salaires inférieurs à ceux des autres personnes en situation de handicap et des travailleurs non handicapés. Elles luttent pour conserver leur emploi, ont moins de possibilités de développement de carrière et leur intégration au sein du marché du travail est difficile.
Cette situation est problématique, tant pour les personnes atteintes de maladie mentale que pour les entreprises. Le travail donne une structure à la vie de ces personnes. Il leur confère un sentiment d’appartenance, un but, une identité et les aide à être financièrement indépendantes. Du côté des entreprises, les personnes atteintes de maladie mentale constituent un réservoir de talents inexploité qu’elles ont tout intérêt à mobiliser, dans un contexte où elles peinent à recruter et à fidéliser.
Votre enquête conclut que ces personnes sont moins valorisées sur le marché du travail et intériorisent cette position d’infériorité. Comment expliquer cela ?
S.H : C’est dû au fait que les compétences développées par ces collaborateurs ne sont pas celles qui sont valorisées par les employeurs. Sur le plan social, par exemple, le monde du travail valorise des soft skills comme la sociabilité, la capacité à créer du lien avec les membres de son équipe. Or, les personnes atteintes de troubles autistiques, par exemple, ont souvent des difficultés à nouer des relations saines et positives avec leurs collègues.
Concernant les personne bipolaires, la nature fluctuante de leurs symptômes les fait apparaître comme moins fiables aux yeux de leurs managers, qui rechignent à leur accorder leur confiance.
Les personnes que nous avons interrogées nous disent aussi qu’elles éprouvent des difficultés à communiquer au travail, car elles ont le sentiment de ne pas posséder les codes en matière d’interactions sociales. Des personnes autistes, par exemple, peuvent avoir du mal à trouver leurs mots et communiquer d’une manière socialement moins acceptable, ce qui entrave la création de liens et l’établissement de relations professionnelles efficaces.
Autre point de blocage qui ressort des enquêtes : les difficultés à réguler ses émotions ainsi que la sensibilité au stress. Ce manque de contrôle peut constituer un frein si l’entreprise souhaite confier au collaborateur davantage de responsabilités, parce qu’elle estimera qu’il ne pourra pas assumer cette charge de travail.
En essayant de se conformer aux attentes du marché du travail et de respecter les règles du jeu, les personnes dissimulent, le plus souvent, leur maladie mentale. Elles se présentent comme des personnes sans maladie mentale et se comportent comme si elles n’avaient besoin d’aucun aménagement. Ces stratégies d’évitement les placent dans des situations difficiles, qu’elles jugent normales, parce qu’elles ne remettent jamais en question les normes instituées par la société ou l’entreprise.
Quelles compétences, développées par ces travailleurs, gagneraient à être valorisées par les entreprises ?
S.H : Sans schématiser, car chaque individu est singulier, on peut dire que les personnes en proie à des troubles compulsifs du comportement (TOC) sont généralement plus perfectionnistes, elles se donnent à 100%. De leur côté, les autistes sont des exemples de loyauté, des personnes à qui on peut accorder toute sa confiance car elles sont au-delà de tout soupçon de manipulation. On remarque aussi que certains collaborateurs en situation de handicap psychique sont capables d’une grande concentration et d’absorber une charge conséquente de travail.
Les recruteurs ont un rôle à jouer pour rendre leur entreprise plus inclusive. Notamment en privilégiant les compétences sur les diplômes ou l’expérience et en mettant en avant ce critère de sélection sur leurs offres d’emploi. Car on sait que ces personnes ont pu rencontrer des difficultés à l’école ou des interruptions de carrière du fait de leur handicap. Par ailleurs, les tests de mise en situation professionnelle sont d’excellents outils pour révéler le potentiel de ces candidats.
Quelles solutions les entreprises peuvent-elles mettre en place pour faciliter l’intégration de leurs collaborateurs en situation de handicap psychique au collectif de travail ?
S.H : La principale clé est d’instaurer un dialogue autour de ce sujet tabou. Ces salariés ont besoin d’écoute, de savoir qu’on ne les considère pas comme fous, mais comme des personnes à part entière. Un bon moyen de faire circuler la parole est de créer des groupes ou réseaux de soutien, au sein desquels les personnes atteintes de troubles psychologiques peuvent rencontrer des personnes vivant la même chose qu’elles. Ces cercles leur permettent de partager leurs expériences, d’échanger des conseils, d’obtenir du soutien afin de lutter contre leur exclusion sociale.
Il faut également mener des actions de sensibilisation des RH et des managers pour travailler sur les croyances négatives associées à ces handicaps : ces personnes ne sont pas moins productives que la moyenne, elles ne sont pas impossibles à intégrer à votre collectif de travail et elles ne sont pas celles qui feront monter votre taux d’absentéisme. Le but est de les conduire à adopter une approche « strenght-based », où l’on focalise sur ce que la personne peut apporter à l’entreprise plutôt que sur les difficultés qu’elle peut engendrer.
Les entreprises doivent également se pencher sur la mise en place d’aménagements pour faciliter les conditions de travail de ces salariés. Le plus souvent, ces mesures sont peu coûteuses : baisser la luminosité d’un bureau ou donner un casque antibruit au collaborateur, permettre des pauses plus fréquentes pour les personnes ayant des troubles alimentaires et souhaitant manger souvent en petites quantités plutôt que de prendre une grande pause déjeuner.