Futur du télétravail : « De plus en plus d’entreprises vont faire le choix du full remote »
Le télétravail va-t-il perdurer sous forme de travail hybride, de full remote ou inventer de nouvelles voies de développement ?

Si, au début de la pandémie, on pouvait se demander si le télétravail s’ancrerait durablement dans le paysage français, la question est plutôt aujourd’hui : sous quelle(s) forme(s) les entreprises vont-elles le pérenniser ?
Director for International Growth chez Remote, une plateforme RH spécialisée dans le travail à distance, Karen Falenius, nous livre son analyse sur le futur du télétravail, en France et dans le monde.
La flexibilité n’est plus une option
Selon une enquête réalisée par Remote, l’avantage offert par l’entreprise qui a le plus la cote chez les actifs est la flexibilité, devant un salaire attractif. Surtout chez les femmes et les membres de la génération Z. « Les travailleurs affirment leur volonté d’organiser leur travail en fonction de leur vie et non l’inverse, ce que permet le télétravail, note Karen. La pandémie a poussé les gens à reconsidérer l’importance de leurs loisirs et de leur cadre de vie en-dehors du travail, à se rapprocher de la nature. C’est ce qui m’a poussée à rejoindre Remote et à revenir travailler en Allemagne, mon pays d’origine, après sept ans passés en Finlande. Notre entreprise nous donne la possibilité de travailler depuis n’importe quel pays. Je vis près de chez mes parents, avec mon mari et mes deux enfants. Je leur fais découvrir la culture de mon pays et je peux les accompagner à l’école, sans que cela n’ait d’incidence sur mon travail. »
De plus en plus d’employeurs prennent en considération ce besoin exprimé par les candidats et les collaborateurs, mais l’enquête Remote révèle de fortes disparités de développement du travail à distance en fonction des pays. Avec seulement 8,5% de personnes en full remote, la France se distingue clairement de ses voisins européens : 27,9% de télétravailleurs à 100% au Royaume-Uni, 23% en Allemagne et 23,15% aux Pays-Bas. Pourtant, selon la même enquête, 57,5% des employés français souhaitent avoir la possibilité de travailler à distance.
Le télétravail, une réponse efficace à la Grande Démission ?
« Dans un contexte de Grande Démission et de difficultés de recrutement, les employeurs français commencent à comprendre l’attrait du full remote pour séduire des profils pénuriques, notamment dans la tech, observe Karen. Les règles du jeu ont changé. Avant, il fallait se trouver au bon endroit (dans les capitales ou les grandes métropoles) pour avoir les meilleurs jobs, les meilleures opportunités de carrière. Aujourd’hui, plus besoin de choisir : on peut réaliser ses ambitions professionnelles tout en vivant là où on sent qu’on s’épanouira le mieux avec nos proches. »
Si même les entreprises les plus réfractaires se convertissent progressivement au télétravail, c’est parce que l’expérience leur a prouvé que leurs collaborateurs n’étaient pas moins efficaces à distance. Selon une étude CoSo Cloud, 77% des télétravailleurs déclarent qu’ils sont plus productifs quand ils travaillent depuis chez eux. De nombreux travaux confirment que le travail est fait et bien fait à distance et que les télétravailleurs arrivent même mieux à se concentrer.
Vers une montée en puissance du full remote ?
D’après l’enquête Owl Labs, State of Remote Work, 16% des entreprises fonctionnent, aujourd’hui, en full remote. Un volume appelé à s’accroître dans les prochaines années, d’après Karen : « Le travail hybride est souvent considéré comme le juste milieu pour les entreprises, mais, dans la pratique, ce modèle est souvent la pire des alternatives. Le principal problème du travail hybride est qu’il impose des restrictions sur le lieu de résidence et le mode de travail des employés et place le bureau au centre de la façon dont le travail doit être effectué. Il limite également les entreprises dans leurs stratégies de recrutement, tandis que le télétravail 100% à distance donne une véritable liberté géographique – que ce soit à l’autre bout de la ville ou du monde : les recruteurs s’affranchissent d’une question secondaire (où vivent les candidats ?) pour se concentrer sur l’essentiel (leurs compétences, leur personnalité, les valeurs communes à l’entreprise…). »
« La flexibilité devient de plus en plus importante pour les employés en France, et dans le monde, qui ont à cœur que leur travail s’adapte à leur vie quotidienne, et non l’inverse, poursuit-elle. C’est pourquoi, je pense, qu’à l’avenir, les entreprises qui font actuellement le choix du travail hybride vont se tourner de plus en plus vers le télétravail à 100%. »
Ne pas proposer de flexibilité, c’est augmenter considérablement le risque de perdre des candidats talentueux. Néanmoins, les entreprises ne peuvent pas se contenter d’introduire de nouvelles politiques de travail, elles doivent procéder à un changement culturel fondamental pour que le travail à distance soit un succès.
Télétravail 2023 : quelle feuille de route pour les RH ?
En finir avec le présentéisme
« En France comme en Allemagne, la vieille culture du présentéisme est encore vivace, constate Karen. En Allemagne, c’est mal vu de quitter son bureau avant que votre manager ne soit parti. En France, les patrons exigent souvent que leurs équipes soient au bureau deux à trois jours par semaine. »
Comment expliquer une telle différence avec les pays anglo-saxons ? « Aux Etats-Unis, le mouvement a démarré bien plus tôt. De grandes entreprises, à l’image de Yahoo, ont mis en place le télétravail dès 2000, notamment parce qu’elles avaient les outils technologiques qui leur permettaient de le faire. Assez tôt, personne ne s’est posé la question de savoir si le travail était bien fait à distance, les managers ont fait confiance à leurs équipes. Le Royaume-Uni a commencé à adopter le remote à la même période, notamment parce que c’était très cher de vivre dans les grandes villes et que les salariés n’étaient plus prêts à passer leurs journées dans les transports pour venir travailler. En France et en Allemagne, le concept est nouveau, la pandémie a accéléré les choses mais il faudra sans doute du temps pour instaurer une véritable culture de la confiance dans les entreprises. »
Développer le travail asynchrone
« Dans mon équipe, nous travaillons tous en remote : l’un de mes collègues vit en France, l’autre en Autriche. Je travaille avec des personnes basées au Brésil, aux Etats-Unis, en Australie… Et peu importe, s’ils décident d’aller travailler une semaine depuis un autre pays que celui où ils vivent, c’est tout à fait possible, grâce à notre fonctionnement asynchrone. »
Une organisation qui repose sur des principes clairs :
- Communiquer systématiquement et en toute transparence sur les missions en cours et leur avancement (par exemple sur un canal Slack, pour que les autres collaborateurs aient l’information) ;
- Limiter au maximum les canaux de discussion privés dans le cadre du travail ;
- Limiter les réunions aux moments destinés à créer du lien ;
- Privilégier les points d’information écrits ou un résumé vidéo qui explique en 5 minutes ce que vous avez fait et ce dont vous avez besoin.
Autant de bonnes pratiques qui permettent la collaboration en dépit de l’éloignement géographique et qui implique que toute personne puisse avoir accès aux informations clés, de n’importe où, n’importe quand.
Préserver la santé mentale des télétravailleurs
Selon une enquête réalisée par Buffer, les plus gros challenges liés au télétravail sont la difficulté à déconnecter (pour 25% des sondés) et l’isolement (pour 24%). Preuve que la préservation de la santé mentale des télétravailleurs et du respect du droit à la déconnexion doivent être des priorités RH. « Cela peut passer, par exemple, par une certaine souplesse dans les horaires de connexion, on n’est pas forcément joignables de 9h à 18h, mais de 7h à 8h, de 9h à 11h, de 15h à 16h et de 19h à 20h, en fonction de ses impératifs. Le tout c’est d’informer vos collègues de vos créneaux de disponibilité, suggère Karen. Les RH doivent également réfléchir aux moyens d’engager leurs collaborateurs, d’alimenter la culture d’entreprise, de faire en sorte que les gens sachent pourquoi ils effectuent telle ou telle tâche », conclut-elle.