Évaluation des soft skills : cette décision qui change la donne
La Cour de cassation vient de réaffirmer que l’évaluation des salariés doit s’appuyer sur des critères objectifs et mesurables. Une mise en garde contre l’intégration non encadrée des compétences comportementales dans les outils d’évaluation RH.
Par une décision rendue le 15 octobre 2025, la Cour de cassation a invalidé une procédure d’évaluation des salariés incluant des critères comportementaux. Une décision qui lance un avertissement aux employeurs quant aux limites juridiques encadrant l’évaluation professionnelle, en particulier lorsqu’elle touche à la personnalité des collaborateurs.
« Optimisme », « honnêteté », « bon sens » : des notions jugées floues
L’affaire concerne une entreprise dans l’agroalimentaire en Ille-et-Vilaine, qui a instauré en janvier 2017 une procédure d’entretien de développement individuel (EDI). Ce dispositif incluait une grille d’évaluation consacrée aux « compétences comportementales groupe », articulée autour de trois grands items : « Ambition », « Engagements », et « Avec simplicité », eux-mêmes déclinés en sous-catégories de comportements.
Deux items en particulier ont été ciblés par le syndicat qui a saisi la justice, le SGA-CFDT 35 :
- « Engagement », via la sous-catégorie « Persévérance : faire preuve d’optimisme » ;
- « Avec simplicité », avec les deux sous-catégories « Transparence : agir et communiquer avec honnêteté avec sa hiérarchie et ses collègues » et « Être pragmatique : se montrer concret en faisant preuve de bon sens ».
Le 28 mai 2018, le syndicat saisit le tribunal judiciaire afin de contester la légalité de ce dispositif. Selon lui, les critères retenus relèvent davantage d’un jugement porté sur la personnalité des salariés que d’une véritable évaluation de leur travail. En conséquence, il demande l’interdiction de l’utilisation de l’EDI au sein de l’entreprise.
Une approche jugée trop subjective
L’entreprise avait tenté de relativiser la portée de ces critères, en les présentant comme secondaires par rapport à l’évaluation des objectifs et des compétences techniques. Un argument rejeté par les magistrats : la grille comportementale ne pouvait être considérée comme accessoire, notamment en raison de l’abondance des critères et du manque de clarté sur leur pondération dans l’évaluation globale.
Par ailleurs, l’employeur estimait que l’utilisation de ces critères, qu’il juge précis et clairs, était pertinente pour évaluer la capacité professionnelle du salarié. Finalement, dans sa décision rendue mi-octobre, la Cour de cassation valide la critique formulée par le syndicat. Elle estime que de telles notions apparaissent comme « trop vagues et imprécises » pour garantir une évaluation objective, transparente et en lien direct avec l’activité des salariés, « en s’éloignant de la finalité première qui est la juste mesure des aptitudes professionnelles des collaborateurs de l’entreprise. »
Ce que cela change pour les entreprises
Cette décision s’inscrit dans un principe fondamental du droit du travail : l’évaluation doit reposer sur des critères objectifs, précis et en lien direct avec les missions confiées au salarié, au sens des articles L. 1222-2 et L. 1222-3 du Code du travail. Tout système d’évaluation qui s’écarte de cette exigence peut être sanctionné et déclaré illicite.
Pour les RH, cette affaire invite à une vigilance renforcée sur les outils d’évaluation internes, et notamment des compétences comportementales. La tentation d’intégrer des soft skills dans les grilles d’entretien est légitime, et également souvent pertinente. Mais elle ne doit pas dériver vers des appréciations psychologisantes ou morales, difficiles à objectiver et à justifier.