Transparence des salaires : ces infos que réclament les cadres

A quelques mois de l’entrée en vigueur de la directive européenne sur la transparence des rémunérations, une étude de l’Apec dresse un constat sans appel.

Dossier confidentiel
81 % des cadres jugent difficile de trouver les informations sur les personnes qui ont été augmentées dans leur entreprise. © Vitalii Vodolazskyi / Stock.adobe.com

Les entreprises françaises sont-elles moins transparentes que celles situées en Allemagne, en Espagne et en Italie ? C’est en tout cas ce que pensent les cadres français, interrogés par l’Apec. Selon cette étude*, 46 % jugent leur entreprise opaque sur le sujet des salaires, un chiffre qui monte à 52% chez les femmes cadres. En Allemagne, 38% des cadres estiment que leur entreprise est opaque sur ce sujet. En Espagne, c’est 33%, et en Italie, 28%.

« Les cadres français sont autant en attente de transparence que dans les autres pays étudiés, avec des attentes plus fortes chez les moins de 35 ans. Là où ils diffèrent, c’est qu’ils jugent plus sévèrement leur entreprise, en raison de difficultés d’accès aux informations salariales », explique Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe de l’Apec.

Ce que les cadres attendent en termes de transparence

Huit cadres sur dix (81 %) disent qu’il est difficile de trouver les informations sur les personnes qui ont été augmentées dans leur entreprise. Trois quarts (74 %) regrettent le manque d’accessibilité aux informations sur les niveaux de salaires réels moyens par type de poste, et deux tiers (66 %) citent la difficulté à trouver une grille de salaire ou les salaires minimums par type de poste.

Conséquence, les cadres français ont une moins bonne connaissance des salaires des personnes occupant le même poste qu’eux au sein de l’entreprise que dans les autres pays européens. 50% des cadres français disent en avoir une mauvaise connaissance, un chiffre qui monte même à 54 % chez les femmes cadres. C’est le cas de 42 % des cadres en Allemagne, 38 % en Italie et 33 % en Espagne.

Ils ont aussi plus de mal à se positionner sur le marché. 42 % des cadres en France trouvent difficile de situer leur salaire par rapport à celui des professionnels au même poste que le leur dans d’autres entreprises, contre 35% en Allemagne, 30% en Espagne et 29% en Italie. « On voit que les cadres français ont plus de mal à se positionner au sein même de leur entreprise qu’à l’extérieur, et c’est plus dur encore pour les femmes », note Laetitia Niaudeau.

Où en sont les entreprises par rapport à ce que prévoit la directive ?

Une situation que la directive européenne sur la transparence des rémunérations, qui entrera en vigueur le 7 juin 2026, doit corriger. Obligation d’afficher le salaire sur les offres d’emploi, ou a minima une fourchette, interdiction de demander aux candidats leurs rémunérations passées ou présentes, droit d’information des salariés sur la rémunération moyenne à poste équivalent… : les entreprises vont devoir changer leurs pratiques. Et selon l’étude de l’Apec, le chemin à parcourir est encore long : seul un quart des entreprises interrogées (26%) a déjà commencé à se préparer aux exigences de la directive.

Un peu moins d’une sur deux (46%) indique de façon systématique ou presque des informations sur le niveau de salaire dans ses offres. Avec des disparités importantes selon les secteurs : 50% dans les services, mais seulement 30% dans l’industrie. Les entreprises qui le font indiquent, dans la très grande majorité des cas (82%), une fourchette de rémunération, et non le salaire proposé en lui-même. 74% des entreprises demandent aussi aux candidats cadres leur salaire actuel ou précédent, chose qu’elles n’auront plus le droit de faire après le 7 juin 2026.

4 grands défis pour les entreprises

Même si les discussions sur la transposition de la directive en droit français sont au point mort depuis le renversement du gouvernement Bayrou et les débats en cours au Parlement sur le budget 2026, les entreprises françaises vont devoir adapter leurs pratiques. Pour cela, elles vont devoir relever quatre grands défis, à commencer par l’investissement que représente ce chantier, en temps mais aussi en ressources à mobiliser.

« Que ce soit en termes de processus RH, d’enveloppe à prévoir pour combler les inégalités salariales ou d’investissement des managers pour davantage expliquer les différences salariales, c’est un chantier très consommateur d’énergie et de moyens dans les entreprises », prédit la directrice générale adjointe de l’Apec.

Autres défis, la difficulté à justifier les écarts de salaires actuels sur la base de critères objectifs, et les conséquences que cela risque d’avoir sur le climat social. 62 %des managers anticipent des conflits dans leur équipe. « Pour les managers, ce ne sera pas facile de valoriser la performance dans ce contexte, avec le risque d’un lissage des rémunérations pour éviter d’avoir à expliquer des écarts importants », anticipe Laetitia Niaudeau.

Dernier défi, l’incertitude que la transparence fait peser sur la qualité des candidatures. Certes, la grande majorité des entreprises (85%) sont convaincues qu’afficher le salaire est une bonne chose, notamment parce que cela suscite plus de candidatures (selon l’Apec, les offres avec salaire génèrent deux fois plus de candidatures). Pour autant, nombre d’entre elles craignent que certains candidats au profil intéressant, notamment chez les femmes, s’autocensurent du fait d’un salaire affiché nettement supérieur à leur rémunération actuelle.

Une opportunité pour les entreprises

« Ne pas afficher le salaire peut permettre aux entreprises de toucher un public plus large. Dans certains cas aussi, les salaires proposés à l’embauche sont supérieurs à ce que touchent les salariés dans l’entreprise, et donc le fait d’afficher le salaire sur les offres peut être difficile à assumer vis-à-vis de l’interne. Mais cette transparence est aussi une vraie opportunité pour les entreprises pour réduire les inégalités et renforcer la confiance entre salariés et employeurs », insiste Laetitia Niaudeau.

*étude menée auprès de cadres salariés du privé (exerçant dans des entreprises de 10 salariés ou plus) dans 4 pays européens, interrogés en ligne en mai 2025. En France, 2 000 cadres ont été interrogés, dont 1 136 managers. En Allemagne, en Espagne et en Italie, 800 cadres ont été interrogés dans chaque pays. A cela, s’ajoute une enquête quantitative menée auprès de 600 entreprises françaises du secteur privé ayant recruté au moins un cadre au cours des 24 derniers mois (hors entreprises de moins de 10 salariés), et une enquête qualitative menée par l’institut Ifop en avril 2025 auprès de professionnels de recrutement français (RH et managers), avec 18 entretiens individuels et 3 focus groups de managers recrutant des cadres.

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Bien s’équiper pour bien recruter