Être RH en Suisse : « On privilégie le consensus aux décisions top down »

Dans un pays qui organise très régulièrement des référendums, la concertation fait partie de la culture d’entreprise.

Etre RH en Suisse
Les Suisses n’hésitent pas à recruter un salarié de 55 ans !

Être RH en Suisse, c’est composer avec un marché de l’emploi bien différent de celui de la France : ce petit pays de 8,7 millions d’habitants affichait un taux de chômage de 2,1% en février 2023, selon les chiffres de son ministère de l’Economie.

« Vous ne recevez pas une centaine de CV par offre d’emploi »

« Dans ce contexte, on comprend facilement que les recrutements soient compliqués : vous ne recevez pas une centaine de CV quand vous postez une offre d’emploi », fait remarquer Françoise Besnard, DRH de Forterro Western Europe, un groupe qui développe des solutions ERP (Entreprise Resources Planning) pour l’industrie, depuis 2018.

Les secteurs en tension sont les mêmes que dans l’Hexagone : santé, hôtellerie-restauration, BTP, IT… « Pour attirer un candidat, il faut que l’entreprise jouisse d’une excellente réputation. Le bouche-à-oreille et le réseautage jouent des rôles essentiels. L’appartenance à tel ou tel canton peut également avoir une influence sur le recrutement, de manière plus marquée que celle à une région en France. »

Le manque de ressources locales se traduit aussi par un large recours aux travailleurs frontaliers : « Nos bureaux suisses comptent 80% de locaux pour 20% frontaliers. » Un ratio assez représentatif de la tendance nationale. Au quatrième trimestre 2022, un total de 380 000 personnes traversaient la frontière pour venir travailler en Suisse, soit une hausse de 6,1% par rapport à la même période en 2021, d’après les données de l’Office fédéral de la statistique.

Une rémunération deux à trois fois plus élevée qu’en France

L’autre grande différence se situe du côté de la rémunération : « Sur certains postes, les salaires suisses représentent le double, voire le triple, de ce qu’un collaborateur exerçant le même métier peut toucher en France, souligne Françoise Besnard. A l’inverse les charges patronales sont deux fois moins importantes en Suisse. »

Des données à mettre en regard du coût de la vie, bien plus élevé chez nos voisins helvètes, qui ne bénéficient pas d’un système de protection sociale comme en France, en particulier en matière de santé et de retraites.

« L’image du senior au travail n’est pas la même qu’en France »

« En France, nos collaborateurs sont nombreux à partir à la retraite avant 60 ans, alors qu’en Suisse, il n’est pas rare de voir des personnes attendre 67 ans car tout le monde souhaite rester actif, et cela peut aussi leur permettre d’avoir une retraite plus importante, car le système repose partiellement sur un système de cotisations privées explique la DRH. Ce qui fait que l’image du senior au travail n’est pas la même. Dans les secteurs d’activité où la pénibilité est moindre, comme dans la tech, les Suisses n’hésitent pas à recruter un salarié de 55 ans, parce qu’ils savent qu’il travaillera encore dix ans chez eux ! »

En matière de droit du travail, la comparaison des épaisseurs du Code du travail français et de son équivalent suisse, le Code des obligations, suffit à nous prouver que le cadre légal est bien moins contraignant de l’autre côté de la frontière : « L’employeur suisse n’a pas besoin de motiver un licenciement et il n’a pas à craindre une action en justice de la part d’un collaborateur qui contesterait cette décision, sauf, bien évidemment, en cas de discrimination ou de harcèlement », développe Françoise Besnard.

« Le politiquement correct ne remet pas en cause la liberté d’expression »

« En Suisse, on privilégie toujours la voie du consensus, poursuit-elle. Nous sommes dans un pays où des référendums sont organisés tous les mois et où la culture de la concertation est très forte. Ça se retrouve au niveau de l’entreprise : les décisions top-down, qui s’imposent parfois aux salariés d’un grand groupe, passent parfois plus difficilement et demandent davantage d’explications. » Ce qui fait que les transformations profondes prennent souvent davantage de temps. « En Suisse, ce n’est pas parce que le politiquement correct est une marque de fabrique nationale qu’il remet en cause la sacrosainte liberté d’expression : les collaborateurs mettent les formes, mais n’hésitent pas à dire le fond de leur pensée, y compris lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec leur direction sur des sujets stratégiques pour l’entreprise. »

Bien s’équiper pour bien recruter