« Les Français ne veulent plus seulement avoir un emploi, mais un emploi de bonne qualité »
Entretien avec Majda Seghir, chercheuse au centre d’études de l’emploi et du travail du Cnam.
Quels sont les métiers qui sont le plus en proie aux difficultés de recrutement en ce début d’année 2025 ?
Majda Seghir : Si l’on se fie aux recrutements les plus difficiles listés par France Travail en 2024 par métier, on retrouve dans le top 10 : les techniciens et agents de maitrise en maintenance électrique, électronique, les carrossiers automobiles, les couvreurs, les aides à domicile et les auxiliaires de vie, les employés et techniciens commerciaux de la banque, les pharmaciens…
Comment expliquer ces tensions sur le marché du travail français ?
M. S. : Tout d’abord, il faut faire le distinguo entre tensions sur le marché du travail et pénurie de main-d’œuvre, souvent utilisés à tort comme synonymes. Les tensions sur le marché du travail se mesurent grâce au taux de vacance des emplois, c’est-à-dire d’offres d’emploi non pourvues, analysé conjointement avec le taux de chômage, des chiffres publiés chaque trimestre par la Dares. Ces tensions peuvent être dues à des changements conjoncturels, qui suivent les pics d’activité des entreprises : il y a un délai d’ajustement naturel entre la prise de conscience des entreprises qu’il y a un besoin de recrutement, la publication de l’offre d’emploi et l’arrivée de l’information aux candidats. Ainsi, en période de reprise, le nombre d’emplois vacants peut augmenter et le taux de chômage baisser et l’inverse se produit en période de récession.
En revanche, la pénurie de main-d’œuvre est plus complexe à mesurer, car elle prend en considération non seulement la quantité de main-d’œuvre disponible pour pourvoir les postes vacants, mais aussi l’adéquation entre les compétences demandées par les employeurs et celles disponibles, la qualité des emplois disponibles ainsi que les conditions de travail. Actuellement, on ne dispose pas de mesure satisfaisante de la pénurie de main d’œuvre alors que c’est un point important notamment pour comprendre l’origine de ces pénuries, proposer des solutions efficaces et les évaluer par la suite.
S’il est difficile d’agir, en tant qu’employeur, sur ces pénuries de main-d’œuvre, existe-t-il des leviers pour parvenir à recruter plus facilement sur les métiers en tension ?
M. S. : Il faut commencer par mieux caractériser ces métiers en tension pour comprendre ce qui les rend peu attractifs. Est-ce leur localisation géographique ? Auquel cas, on peut mettre en place un système de compensation financière pour attirer dans certains territoires. Est-ce les conditions de travail ? Dans ce cas, il faut identifier et prévenir la pénibilité au travail. Est-ce le salaire ? Dans ce cas, il faut réviser vos grilles de rémunération.
Si vos difficultés sont liées à la recherche de compétences rares, vous pouvez :
- Recruter des travailleurs qui ne cochent pas 100% des compétences et les former en interne ;
- Restructurer les tâches en déléguant certaines à des collaborateurs moins difficiles à recruter pour permettre aux profils pénuriques de se concentrer sur leur expertise ;
- Attirer une main-d’œuvre plus diversifiée en élargissant votre sourcing à d’autres profils.
Les réformes successives de l’assurance-chômage ont-elles eu un impact sur les recrutements sur les métiers en tension ?
M.S. : Si les réformes du chômage s’inscrivent dans l’objectif de plein-emploi fixé par le gouvernement, aucune étude scientifique n’a établi de lien entre la réduction drastique de la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi et la diminution des tensions sur le marché du travail. Car cela suppose que ces demandeurs d’emploi possèdent les compétences dont ont besoin les employeurs qui recrutent. Le risque d’une nouvelle réduction de la durée et du montant des indemnisations, portée par la réforme de l’assurance-chômage de 2025, est de voir des individus prendre des postes sans lien avec leur qualification.
Que peut-on attendre de la concertation sur le travail, annoncée par le gouvernement, qui doit s’ouvrir en mars 2025 ?
M.S. : Pendant des décennies, la France a poursuivi l’objectif du plein emploi car son taux de chômage était élevé par rapport aux autres pays européens. Après la pandémie, on a pu constater un changement de rapport au travail des actifs, qui deviennent plus regardant vis-à-vis de ce qu’on leur propose. Les Français ne veulent plus seulement avoir un emploi qui permet de boucler leurs fins de mois, mais aussi un travail qui leur permette de s’épanouir. C’est un discours également porté au niveau européen : il ne suffit plus de proposer un emploi, mais un emploi de bonne qualité. C’est le meilleur moyen de conserver les travailleurs sur le marché du travail.
Je pense que cette concertation sur le travail peut permettre de recentrer le débat sur la qualité des emplois et d’aller plus loin notamment sur la réduction de la pénibilité de certains métiers. Il ne peut pas y avoir de solution générale qui conviendra à tous, mais les négociations doivent s’effectuer au niveau de chaque branche professionnelle.