Le chômage, une blessure narcissique à raconter

En ce moment on parle beaucoup du chômage, mais pas vraiment des chômeurs, de ce qu’ils ressentent au quotidien. Stigmatisés, montrés du doigt, les chômeurs sont pourtant les premières victimes de la crise économique. Leurs vies ne se résument pas à des chiffres ou à des courbes, ils traversent des moments personnels et professionnels difficiles.

Certains ont choisi de s’exprimer sur cette situation qui n’a rien d’enviable. C’est le cas de Gaëlle. Au chômage depuis deux ans, elle raconte sur un blog « l’abaissée du chômage », son quotidien, ses envies, ses coups de gueule. Pour elle, le chômage est une « blessure narcissique » dont il faut parler. Son témoignage courageux permet de voir les choses autrement. Même si son parcours professionnel n’appartient qu’à elle, ce qu’elle dit du chômage parlera sans doute à beaucoup de chercheurs d’emploi.

Chomage-blessure

Quel a été votre parcours professionnel avant d’être au chômage ?

J’ai un parcours de journaliste assez classique, après une Maîtrise d’histoire j’ai suivi une formation spécialisée et j’ai ensuite enchaîné les stages et les collaborations en radio, à la télévision et en presse écrite. J’ai été journaliste pour des chaines de télévision comme Histoire, Public Sénat, I-télé et chroniqueuse pour l’émission Revu et corrigé sur France 5. Mais depuis deux ans, plus rien, je n’arrive pas à comprendre ce qu’il s’est passé. J’ai essayé de réactiver mon réseau mais je me suis très vite retrouvée dans une impasse. Soit on me disait que j’allais  » m’ennuyer  » soit on me conseillait de postuler à des postes de rédacteur en chef pour lesquels je n’avais pas encore suffisamment s’expérience. Finalement je ne sais plus à quoi je peux prétendre car on me dit tout et son contraire.

Se retrouver au chômage après un début de carrière comme la vôtre c’est une remise en question qui n’est pas évidente…

Quand on se retrouve au chômage, on est bien obligé de se remettre sans cesse en cause, y compris au niveau personnel. On se demande ce qui ne va pas : est-ce qu’une question de diplôme ou un problème d’attitude ? On a toujours l’impression qu’on nous reproche quelque chose au niveau du savoir-être ou du savoir-faire, sans que ce soit verbalisé clairement. Le refus après une candidature, on le prend toujours un peu comme un rejet personnel. Même si il y a une réalité objective avec un contexte économique difficile, j’aimerais comprendre comment j’ai laissé passer certains wagons. J’en arrive même à me dire que j’aurais dû attendre un peu plus pour faire des enfants…

Vous ne vous attendiez pas à être un jour au chômage ?

Personne n’est vraiment à l’abri. Dans ce métier ce sont les contacts qui comptent et quand on en a beaucoup et que ça ne débouche sur rien, on finit par devenir parano. J’ai eu beaucoup de rendez-vous professionnels sans savoir pourquoi aucun n’a débouché depuis deux ans.

C’est ce qui vous a incité à créer un blog pour raconter vos recherches et exprimer un coup de gueule ?

Oui, car à force de refus j’ai accumulé beaucoup d’anecdotes. Les raconter sur le ton de l’humour permet de soigner un peu cette blessure narcissique qu’est le chômage. On appréhende rarement le sujet sous cet angle, c’est pourtant une réalité. Je ne suis évidemment pas la chômeuse la plus à plaindre, mais la blessure reste douloureuse.

 « Le chômage a un effet chronobiologique, on n’a plus le même rythme que la société »

 Comment se traduit cette blessure selon vous ?

Quand on est au chômage, on se retrouve en marge, on est mis de côté. Le chômage a un effet chronobiologique : on n’a plus le même rythme que la société, on se retrouve déphasé à faire ses courses quand les autres sont au travail. Au début, on arrive à faire illusion, mais très vite on se marginalise par rapport aux autres, à notre entourage et à nos amis.

Cette blessure, c’est comme l’impression de ne plus avoir de place dans la société ?

Oui et c’est aussi une question de rythme. Actuellement je prends des cours d’anglais et à 9h du matin je me retrouve qu’avec des retraités. Je n’ai rien contre eux, mais je ne me sens pas à ma place. A la longue on finit même par douter d’un retour possible dans le monde du travail, on se dit que personne ne nous fera plus jamais confiance après des années de chômage, c’est le serpent qui se mord la queue.

« Sans travail, nous ne sommes rien dans cette société »

Est-ce que cette blessure narcissique que vous décrivez n’est pas encore plus douloureuse du fait de votre métier, vous étiez exposée à la télévision…

Effectivement, il faut être honnête, la télévision a un côté grisant. Passer de tout à rien, même si je n’étais pas très connue, accentue ce sentiment  » de ne servir à rien « . On a peur aussi d’être dépassé par l’actualité, l’écart se creuse avec les autres qui pendant que vous essayez de vous en sortir, engrangent de l’expérience. C’est une vraie douleur avec des conséquences sur la vie de famille et les relations avec les autres. Sans travail, nous ne sommes rien dans cette société…

Avec le temps, le fait d’être au chômage tourne parfois à l’obsession…

Oui, la première chose qu’on vous demande quand vous rencontrez quelqu’un c’est « qu’est-ce que vous faites dans la vie ? ». Si on répond qu’on n’a pas de boulot ça signifie qu’on ne fait rien.

« Je voulais régler leurs comptes aux donneurs de leçons qui vous disent quoi faire »

Votre blog est sous forme d’abécédaire décalé, c’est une façon de mettre des mots sur les maux du chômage ?

C’est une manière de verbaliser mais surtout de remettre les pendules à l’heure. Quand on est au chômage on vous dit : « tu as de la chance, tu as du temps libre… » Mais le chômage n’a rien à voir avec des vacances. Quand il est subi, le temps n’a rien de libre. Le quotidien du chômage n’a pas du tout le même sens que deux jours de RTT, ce temps soi-disant libre est aliénant. Je suis en colère quand on me dit « tu n’as qu’à faire de la zumba ou aller voir des expos », je n’ai pas ces envies-là, je veux juste travailler. Le but du blog est donc de revisiter ces notions du point de vue de la chômeuse que je suis, sur un ton un peu acide pour régler leurs comptes au donneurs de leçons qui vous disent quoi faire quand vous êtes au chômage… J’aborde par exemple le thème des « vacances » ou la situation de la momeuse, la maman au chômage.

Vous échangez aussi avec d’autres blogueurs qui racontent leur vie de chômeurs…

J’ai eu l’occasion de rencontrer Agathe et super chômeuse, qui vient d’ailleurs de retrouver du boulot. J’ai suivi également les aventures du bômeur, contraction de bobo et de chômeur, qui essaie de voir le chômage du bon côté et qui a tiré un livre de son tumblr. Tous racontent à leur manière cette blessure narcissique. Ça rassure aussi de voir qu’on n’est pas tout seul, de constater que notre parcours n’est pas si singulier et que le chômage, ça peut arriver à tout le monde…

Raconter sa vie de chômeuse sur un blog c’est aussi pour se sentir moins seule car aujourd’hui la recherche d’emploi c’est une activité sédentaire derrière un écran…

Oui même si j’ai une famille un mari et des enfants, je crève de solitude. Je crève de collègues et de machine à café… Paradoxalement, même entouré on se sent toujours seul face au chômage.

Bien s’équiper pour bien recruter