Quelles sont les causes réelles du mal-être au travail ?
Un baromètre d’Ekilibre Conseil s’intéresse aux causes profondes du mal-être des collaborateurs au travail. Une grille de lecture précieuse pour les RH.

Si 68% des salariés français sont globalement satisfaits de leur travail, 51,5% d’entre eux se sentent en situation de vulnérabilité professionnelle (liée au stress, à la fatigue, à la pénibilité physique ou à un mal-être), selon le baromètre national des causes racines du mal-être au travail*, publié par le cabinet Ekilibre Conseil le 5 juin 2025.
Comment expliquer ce qui apparaît, à première vue, comme un paradoxe ? « Il témoigne à la fois d’une capacité des salariés à exprimer une satisfaction globale sur leur travail tout en subissant une usure professionnelle, qui reste silencieuse faute d’indicateurs adaptés pour mesurer le bien-être au travail. Ce n’est pas parce qu’on aime son travail qu’on est heureux au travail », décode Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et directeur général d’Ekilibre, un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des entreprises pour allier performance et bien-être au travail.
Dans le détail, l’étude rapporte que 76% des salariés sont concernés par une fatigue significative, 66% sont stressés, 47% se trouvent en situation de pénibilité physique et 43% en état de mal-être. Dans trois cas sur quatre, ces situations ont un impact négatif sur la santé des salariés. Au cours des six derniers mois, 20% des personnes interrogées déclarent avoir été en arrêt maladie pour un motif psychologique ou physique lié à leur activité professionnelle.
« Traiter les causes racines du mal-être au travail et non pas les symptômes »
« L’idée est de dépasser la simple lecture de ces pourcentages pour traiter non pas les symptômes, mais les causes racines qui ont le plus d’impact sur la santé au travail », précise l’expert. Quels indicateurs prendre en compte pour déterminer avec précision les éléments qui ont le plus d’impact sur le bien-être au travail de vos collaborateurs ?
La méthodologie proposée dans le cadre du baromètre se base sur les 6 grandes familles de facteurs de risques psychosociaux identifiées par l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) : intensité et temps de travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux dégradés, conflits de valeur, insécurité de la situation de travail.
Les six grandes familles de facteurs de risques psychosociaux au travail
Chacune de ces familles regroupe elle-même plusieurs facteurs de risques psychosociaux que les RH peuvent évaluer :
- Intensité et temps de travail : vigilance et attention élevée, rythme soutenu de travail, interruptions fréquentes, changements imprévus, horaires de nuit/décalés ;
- Exigences émotionnelles : devoir faire bonne figure, manque de moyens, mauvaise gestion des émotions ;
- Manque d’autonomie : manque de marge de manœuvre et de gestion des rythmes ;
- Rapports sociaux dégradés : mauvaise communication, soutien insuffisant de la hiérarchie, manque d’écoute, manque de reconnaissance ;
- Conflits de valeur : qualité empêchée, sentiment d’inutilité ;
- Insécurité de la situation de travail : manque d’anticipation du changement, incertitude sur l’avenir.
En fonction de la situation de mal-être, les facteurs qui ont le plus d’impact diffèrent : ainsi les collaborateurs en proie au stress sont davantage impactés par des causes qui relèvent de l’intensité et de la complexité du travail ainsi que des exigences émotionnelles. En revanche, ceux qui souffrent de fatigue accrue sont plus impactés par des facteurs tels qu’un rythme de travail élevé, le devoir de faire bonne figure, le manque d’écoute et le manque d’anticipation du changement.
Une cartographie à intégrer au document unique
« Cartographier ces différents facteurs de risques psychosociaux permet aux RH d’intégrer une mesure exhaustive à leur document unique d’évaluation des risques professionnels et à leur plan annuel de prévention des risques professionnels, qui font partie des obligations légales de l’employeur », explique Jean-Christophe Villette. Pour rappel, tout employeur embauchant au moins un salarié doit établir un document unique d’évaluation des risques professionnels, qui liste les risques pour la santé et la sécurité de ses collaborateurs. Ce document sert de base pour construire le plan annuel de prévention des risques professionnels, également obligatoire, qui s’impose à l’employeur et aux élus du CSE. Ce dernier liste, quant à lui, les actions préventives à envisager pour limiter ces risques.
« Les RH doivent pouvoir adosser chaque cellule d’écoute à un tableau d’indicateurs sur la santé mentale au travail, afin de pouvoir analyser le travail réel au-delà de l’accueil des émotions. L’idéal est de rendre la publication de ce tableau obligatoire chaque année », complète le psychologue du travail.
Améliorer la confiance dans l’écoute RH
L’enquête met également en lumière que les RH ont un chantier à mener pour être mieux identifiés comme personnes ressources sur les sujets de qualité de vie et des conditions de travail, car elles sont loin d’être les premières personnes vers lesquelles les salariés se tournent pour faire part de leur souffrance au travail : 72% citent pouvoir compter sur un collègue comme personne de confiance dans l’entreprise, 33% un manager direct, 21% un délégué du personnel, 21% un médecin ou une infirmière, 15% un membre de la direction et 11% un membre du service RH. « Bon nombre de salariés voient les RH comme l’équipe qu’on rencontre lorsqu’on va être sanctionné. Il faut réhabiliter la fonction RH comme une fonction qui aide les collaborateurs à monter en compétences et qui prend soin d’eux. »
Pour améliorer la confiance dans l’écoute RH, Jean-Christophe Villette incite les services RH à communiquer sur les dispositifs existants : personnes à contacter en fonction du problème rencontré, plateforme d’assistance psychologique, formations aux risques psychosociaux, procédure de signalement de faits de harcèlement… « Certaines entreprises nous disent que ces dispositifs existent mais que leurs RH ne communiquent pas dessus parce qu’elles ont peur de ne pas pouvoir absorber un afflux important de sollicitations de la part des collaborateurs. » Pour éviter d’en arriver là, les équipes RH doivent non seulement être staffées en conséquence mais aussi être formées aux risques psycho-sociaux. « Mais ces formations ne doivent pas s’arrêter aux RH et aux managers, elles doivent être proposées à l’ensemble des collaborateurs », insiste Jean-Christophe Villette.
Créer la confiance passe aussi par l’explication de ce à quoi vont servir les données récoltées par les RH dans le cadre de questionnaires sur la qualité de vie au travail et l’état de santé des salariés : « Elles doivent rappeler la finalité de ces enquêtes, le respect de la confidentialité des données, la durée pendant laquelle elles vont être conservées et communiquer les résultats globaux à l’ensemble de l’entreprise. »
*Enquête basée sur un échantillon national représentatif de 1 025 salariés du public et du privé, constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de genre, âge, région, catégorie socio-professionnelle et secteurs. Les résultats ont été pondérés par ces mêmes critères. Les interviews ont été réalisées du 28 avril au 9 mai 2025.