« Je vous en prie, ne m’embauchez pas » : il envoie 1 000 lettres de « non-motivation » à des employeurs

Par cette performance artistique, Julien Prévieux met en lumière l’absurdité de certaines formules contenues dans les offres d’emploi.

L'artiste met le doigt sur les formules absurdes de certaines offres d'emploi.
L'artiste met le doigt sur les formules absurdes de certaines offres d'emploi. © VectorMine/stock adobe.com

« Vous êtes un frein à l’innovation, aussi je me vois dans l’obligation de refuser le métier rétrograde que propose votre entreprise. » Pendant sept ans, l’artiste Julien Prévieux a répondu à des offres d’emploi glanées dans les journaux ou sur le site de Pôle Emploi. Résultat : plus de 1 000 lettres de « non-motivation » qui n’ont de classique que la forme !

Les missives, très drôles, ont réellement été envoyées, sous la vraie identité de l’artiste, à des entreprises des tous secteurs, qui ont parfois répondu à leur auteur.

« Je ne serai pas le complice de vos méthodes douteuses »

A cette annonce d’un supermarché qui s’adresse aux moins de 26 ans « qui ont envie de réussir », Julien Prévieux rétorque : « J’ai l’impression que vous vous êtes trompés dans la rédaction de votre offre d’emploi : ‘’Et vous avez envie de…réussir…’’, soyez rémunéré à 65% de SMIC pendant 6 ou 9 mois. Je n’ai pas saisi le rapport de cause à effet entre une envie de réussir apparemment débordante et un salaire si réduit. Une coquille a dû se glisser malencontreusement dans le texte, à moins qu’un si minuscule salaire donne, par lui-même, l’envie de réussir en quittant immédiatement son poste. »

A ce spécialiste des sauces, il écrit : « Depuis 5 ans, je me nourris exclusivement de sauce béarnaise, de sauce hot pepper, de sauce pommes frites et de sauce américaine […] Dans une recherche d’efficacité maximum, j’ingurgite les pots le plus rapidement possible. Fort de cette expérience, j’ai largement dépassé le poids limite qu’on peut se permettre si l’on veut pouvoir des déplacer […] Malheureusement votre proposition de poste se situe en région parisienne et je ne m’éloigne jamais du supermarché Franprix de la rue des Amandiers. »

A un acteur de la chimie, il s’adresse en ces termes : « Je suis tout simplement scandalisé par votre slogan ‘’a brand like a friend’’, slogan que vous n’avez même pas pris la peine de traduire pour vos correspondants francophones. Toujours est-il qu’une compagnie comme la vôtre est loin d’être l’amie de l’homme. En mars 2003, vous déversiez deux tonnes de polluant contenant du nitrate de sodium à Belvedere dans le Kent […] S’il s’agit des ‘’défis quotidiens’’ auxquels il faut être confronté pour obtenir ce poste, je préfère m’abstenir, je ne serai pas le complice de vos méthodes douteuses. »

Dialogue de sourds

A travers cette correspondance savoureuse, l’artiste entend dénoncer, par l’ironie, les injonctions et paradoxes qui figurent dans les offres d’emploi, et créent une distance, voire un dialogue de sourds, entre le demandeur d’emploi et son potentiel employeur, à l’image de formules comme : « Vous voulez vivre votre projet avec intensité », « vous avez envie de réussir », « il faut être champion » …

« Mon choix s’est porté sur des annonces et des images choisies pour les illustrer ou des formulations marketing utilisées, complètement décalées avec l’emploi proposé. Elles devaient me permettre d’interférer dans le rituel du recrutement avec une poésie sonore, un texte tout aussi absurde et ironique », confie Julien Prévieux à Télérama.

Une oeuvre utile, qui peut éviter aux recruteurs de tomber dans ces travers lors de la rédaction de leurs prochaines annonces.

Bien s’équiper pour bien recruter