Arrêt maladie et congés payés : quelles sont les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ?
Les Sages ont jugé le Code du travail conforme à la Constitution, mais la législation française devra toutefois s’aligner sur le droit européen. Explications.
La loi française, qui prévoit qu’un salarié ne cumule pas de droits à congés payés lorsqu’il est en arrêt maladie, est-elle contraire à la Constitution ? Non, ont tranché les juges du Conseil constitutionnel, jeudi 8 février. Quelles sont les conséquences de cette décision pour les employeurs ? On revient sur ce feuilleton pour y voir plus clair.
Acte 1 : les textes européens de 2003 et 2009
Selon la directive européenne sur le temps de travail, datant de 2003, et la charte européenne des droits fondamentaux, de 2009, un salarié a droit à quatre semaines de congés payés annuels, même s’il est absent pour cause de maladie ou d’accident.
Selon le droit de l’UE, un salarié qui ne peut pas travailler à cause de son état de santé, subit une situation indépendante de sa volonté et son absence ne peut pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congés payés.
Acte 2 : la condamnation de l’Etat français en juillet 2023
En France, le Code du travail permet aux actifs d’acquérir deux jours et demi de congés par mois travaillé. Mais prévoit qu’un salarié en arrêt maladie (hors accident du travail ou maladie professionnelle) n’a pas droit à des congés payés pendant la durée de son arrêt de travail. Le droit français considère, en effet, l’arrêt maladie comme une période de repos et non comme un temps de travail effectif. Seules certaines absences sont considérées comme du temps de travail effectif (jour férié chômé, congé maternité, accident du travail, maladie professionnelle).
Pour dénoncer la non-conformité du droit français avec les textes européens, trois syndicats (CGT, FO et l’Union syndicale Solidaires) avaient saisi la justice. La cour administrative d’appel de Versailles a rendu son jugement le 18 juillet 2023 : l’Etat français a été condamné à verser 30 000€ aux organisations syndicales.
Acte 3 : les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023
Dans la même lignée, la Cour de cassation a estimé, le 13 septembre dernier, que les arrêts maladie ne devaient pas avoir d’incidence sur le calcul des congés payés. La juridiction avait à se prononcer sur trois affaires distinctes. Voici les principales conséquences des arrêts rendus :
- les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail, comme le prévoit actuellement le Code du travail
- le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer son droit à congés payés en temps utile. En principe, la loi ou la convention collective fixe une période au cours de laquelle un salarié doit prendre ses congés payés et le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne commence à courir qu’au terme de cette période.
Acte 4 : la décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2023
Les juges du Conseil constitutionnel ont dû répondre à deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) émanant d’une ancienne employée commerciale :
- les dispositions législatives françaises portent-elles atteinte à la santé du salarié, dans la mesure où, sans travail effectif, le salarié n’acquiert pas des droits aux congés payés ? De plus, le droit français ne permet pas l’acquisition de congés payés aux salariés en arrêt pour une maladie professionnelle ou un accident de travail au-delà d’un an. Cette disposition ne porte-t-elle pas atteinte à la Constitution ?
- le droit français ne porte-t-il pas atteinte au principe d’égalité garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, mais aussi par la Constitution, dans la mesure où il fait une distinction entre acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie pour origine professionnelle ou non professionnelle ?
Les Sages ont estimé que les articles concernés (L.31-41-3 et L. 3141-5 du Code du travail) n’étaient pas contraires à la Constitution, ne portaient pas atteinte au droit à la santé et au repos des salariés et n’instauraient pas d’inégalité de traitement entre les salariés en arrêt maladie classique et ceux touchés par une maladie professionnelle ou un accident du travail.
Acte 5 : l’adaptation de la législation française au droit européen
La décision du Conseil constitutionnel n’a pas d’incidence sur la nécessité d’aligner le droit français sur les directives européennes, mais laisse davantage de temps au gouvernement, selon Caroline André-Hesse, associée en droit du travail au sein du cabinet Ayache, interviewée par Europe 1 : « Si le Conseil constitutionnel avait acté du caractère inconstitutionnel des dispositions légales applicables, ça aurait pu être considéré comme une pression additionnelle sur le gouvernement. Cette réforme législative est, en tout état de cause, inévitable. C’est juste que ça peut donner un argument aux employeurs et laisser plus de latitude au gouvernement avant de modifier les dispositions légales. »
Par la voix de la ministre du Travail, Catherine Vautrin, le gouvernement a réaffirmé, mi-janvier, sa volonté de « mettre le pays en conformité avec la législation européenne », une fois connue la décision du Conseil constitutionnel.
Dans son intervention devant les Sages, le 30 janvier, le représentant de l’État avait précisé qu’il souhaitait que l’acquisition de congés payés par des salariés en arrêt maladie soit limitée à quatre semaines par an, soit la durée minimale d’acquisition de congés payés au niveau européen, contre cinq semaines en France.
Dans un communiqué, la CGT a jugé la décision du Conseil constitutionnel « décevante » et a affirmé qu’elle « mettra tout en œuvre pour que, malgré la décision de conformité, gouvernement et patronat respectent la décision de la Cour de cassation et garantissent aux salariés et salariées leur droit à la santé et au repos ». Le texte devrait être débattu au Parlement dans les prochains mois.