Au travail, le planqué n’est pas toujours celui qu’on croit
Certains médias se sont faits une spécialité de leur tomber dessus. Au café du commerce, ils en prennent aussi pour leur grade. Eux, ce sont les planqués, avec une nette préférence pour les fonctionnaires lambda (agents des impôts, de la DDE, de la SNCF, d’EDF, etc.) comme les « planqués de la République » : conseillers d’État invisibles, membres de commissions aussi inconnues que particulièrement bien rémunératrices. Mais le secteur privé n’est pas épargné. Là aussi certains réussissent, semble-t-il, à trouver la bonne planque. Dans ce cas, c’est le collègue incompétent, ou prétendument tel, sur qui on passe ses nerfs, celui dont on se demande comment il peut être encore en poste.
« Il y a ceux qui sont dans l’entreprise depuis longtemps, protégés par leur hiérarchie ou encore par les syndicats. Mais il y a aussi ceux qui, suffisamment intelligents, savent jouer des codes sociaux de l’entreprise. Jamais isolés, ils savent alors se rendre sympathiques avec tout le monde et surtout donner le change », témoigne Vincent *, chargé de recrutement au sein d’un grand groupe alimentaire. Et cela pèse sur l’organisation. « Dès lors qu’un collègue est à l’écart, un sentiment d’inégalités existe. Et chacun de se demander pourquoi l’autre peut en faire moins que les autres. Cela déséquilibre le collectif et le met en danger », analyse le sociologue François Sarfati, spécialiste du travail et de l’emploi, auteur de l’ouvrage « Du côté des vainqueurs ».
« L’entreprise encourage le conformisme »
Reste qu’il semble aujourd’hui difficile d’imaginer garder sa place au chaud quand les entreprises cherchent à réduire au maximum les coûts. A moins que les organisations engendrent elles-mêmes ces comportements ? Un point de vue partagé par Corinne Maier, auteure du « Petit manuel du parfait arriviste ». « La grande entreprise, par son conformisme, encourage les planqués. Ceux qui se disent : « tout cela est absurde, je fais semblant d’y croire et j’en fais le moins possible ». Les petits salariés formatés et jargonnant sont légion. On initie, on valide, on élabore des drafts, on imprime des slides, on pratique le « bottom up – top down », on travaille en projets transversaux… »
La saillie est plaisante mais n’explique pas tout. D’autant qu’en entreprise « il est difficile d’évaluer concrètement qui fait quoi deux bureaux plus loin que le sien, on a vite tendance à taxer l’autre de planqué, alors qu’on ne sait tout simplement pas ce qu’il fait », poursuit François Sarfati.
Planqué, synonyme d’improductivité, vraiment ?
Alors simple mythe le planqué ? « Disons que les entreprises sont révélatrices de la société, avec ses bons et moins bons éléments. Après, on demande beaucoup aux salariés. Pour peu qu’ils ne soient pas à 100%, ils auraient vite tendance à faire partie des planqués. Et puis, entre celui qui est présent 12 heures au travail et celui qui fait consciencieusement ses 8 heures, lequel est vraiment le plus productif ? », s’interroge Vincent.
Pourtant, les entreprises auraient plus facilement tendance à reconnaître le savoir-être, la rentabilité immédiate que le travail « bien fait ». « Lors d’une grande enquête menée dans le milieu bancaire auprès de salariés qui devaient rester sur le même poste durant 3 ans avant de changer d’affectation, il a pu être analysé lors d’une étude deux types de comportements. Le premier, c’était le salarié qui « brûlait son portefeuille » : il vendait un maximum de produits à ses clients. Le second était à l’inverse le modèle de l’employé cherchant à créer une relation de confiance avec ses clients afin de les fidéliser. Au final, le premier était pourtant plus facilement promu, bien que son travail pénalise l’entreprise sur le long terme », détaille François Sarfati.
Le planqué, un innovateur frustré
De telles gratifications peuvent jouer sur la motivation des salariés. Erreur de management ou difficultés à repérer les talents, selon la terminologie actuelle des acteurs des Ressources humaines, l’individu se met alors de lui-même sur le banc de touche. « On constate souvent cela de la part de salariés qui ont voulu s’investir dans l’entreprise. Ils ont proposé des solutions pour faire avancer les choses, des innovations, mais ils n’ont pas été écoutés. Après la désillusion, ils rentrent dans un processus de ras-le-bol et se désinvestissent totalement », perçoit François Sarfati.
« Le fameux slogan du management, « break the mold « , casser le moule, est évidemment un mensonge. Celui ou celle qui casse les codes est destiné au placard ou au licenciement », renchérit Corinne Maier. Selon elle, la clé de la réussite, c’est : « feindre, manier les masques et les faux-semblants, enfumer les autres, ne jamais répondre de rien. Un hypocrite assis va beaucoup plus loin qu’un type honnête ». En résumé, pour réussir, ne faites rien ! Ou plutôt, occupez intelligemment votre planque…
- *Le prénom a été modifié.
« Petit manuel du parfait arriviste« , Corinne Maier, Édition Flammarion, 187p, 11,99 euros
« Du côté des vainqueurs, Une sociologie de l’incertitude sur les marchés du travail », François Sarfati, Édition Broché, 202p, 21,85 euros