En 2023, c’est une bonne situation ça, manager ?
« Mais, vous savez, moi, je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres ».
On est allés au Web2Day assister aux conférences dédiées au futur du travail et on en est revenus avec quelques infos sur le rôle des managers en 2023. Pour résumer, ils ne sont pas prêts de s’ennuyer.
Un peu d’anthropologie en guise de mise-en-bouche
La fonction du manager a toujours été présente dans nos sociétés, sous différentes facettes, comme l’a rappelé Fanny Parise, anthropologue au sein du collectif Magical Thinking. C’était déjà le cas avec l’esclavagisme, ça l’était toujours au moment de la naissance du monde ouvrier. Etre managé, c’était réaliser des tâches en suivant des ordres (de façon plus ou moins raccord avec les Droit de l’homme).
Dans les années 50, on a commencé à voir se dessiner deux mondes, celui des cols bleus et celui des cols blancs. Avec le manager comme figure autoritaire, au sein d’entreprises plutôt paternalistes. Mais ça, c’était avant : aujourd’hui, manager c’est fédérer une équipe autour d’un projet commun et accompagner les différents membres de cette équipe dans le développement de leurs compétences. Le management est devenu plus collaboratif et plus humain. Sur le papier, c’est limpide et on peut se réjouir d’une telle évolution. Mais sur le terrain ?
Manager, un métier à part entière
Pour devenir manager ou pour devenir un bon manager, il faut d’abord opérer une mue et faire le deuil de son ancien métier et de son expertise, selon Grégoire Even, co-fondateur d’Uptogether : « Etre manager, c’est être au service de son équipe et de son organisation, c’est pour ça que c’est un vrai métier avec des fonctions et compétences précises. Le manager est un chef d’orchestre qui se met au service des autres pour créer les conditions de la performance. Et c’est aussi un synchronisateur, un maître du temps. »
Une des clés à garder en tête, c’est que pour amener un groupe humain à atteindre un objectif, il faut réussir l’équation de la motivation intrinsèque, a aussi rappelé Cyril de Sousa Cardoso, fondateur de Les petits bots. C’est-à-dire « pouvoir apporter du sens, permettre de se connecter à quelque chose de plus grand que l’individu, faire en sorte que chacun maîtrise son impact et puisse évoluer de manière autonome. » C’est cette motivation intrinsèque qui prévaut, bien plus que, par exemple, un système de primes : « On pense qu’en donnant une prime, on motive et on rend plus performant, mais la science dit le contraire« . Ce qui n’exclut pas pour autant le besoin d’être rémunéré à sa juste valeur, car c’est une forme de justice et de reconnaissance indispensable.
Demain, qui voudra encore devenir manager ?
Mais toutes les entreprises sont-elles prêtes à accueillir une légion de coachs facilitateurs ? Et, surtout, les managers ou futurs managers se voient-il bien dans ce nouveau rôle ?
« Manager aujourd’hui, c’est plus compliqué que cela ne l’était et la fonction attire moins, annonce Aurélie Mesbourian Fliedel, CMO chez Alan. C’est ce que nous a appris notre dernier baromètre du bien-être mental en entreprise. 41% des managers disent qu’ils se sentent parfois isolés et leur principale revendication est d’être formé aux risques psychosociaux. »
Alors, comment les aider ? « Chez Alan, on a choisi de dissocier le rôle de coach de celui de manager et les réflexions se font autour de l’ hypothèse de base que les organisations sont efficaces quand elles reposent sur la confiance. Chaque salarié a un coach pour l’accompagner dans ses projets de carrière, avec une très forte culture du feed-back au sein des équipes« , raconte Aurélie.
Pour Grégoire, « les entreprises qui fonctionnent le mieux sont celles qui ont une bonne qualité relationnelle dans leur organisation. » Chez Uptogether, les managers se coachent entre eux avec des temps d’échange dédiés : « On est dans une période de transition organisationnelle et les managers ont beaucoup de pression sur leurs épaules, échanger est parfois la soupape qui permet de mieux gérer cette pression. Les directions des entreprises doivent en prendre conscience et permettre un cadre de sécurité dans lequel le manager peut s’exprimer. »
« Plus on monte dans les échelons, plus on passe du temps à se méfier des autres »
Pour Cyril, on a voulu faire des managers des super héros, mais leur compétence phare, c’est leur capacité à développer les compétences et l’autonomie de leurs collaborateurs. Tout ça dans un contexte de changement : « On assiste à une transformation de notre rapport au temps, on sort de l’ère laborieuse, où le travail était associé à la souffrance, avec un manager qui envoie des mails le soir ou le week-end pour montrer qu’il travaille. On entre dans une nouvelle ère, celle du glandeur magnifique avec un nouveau rapport au temps. » Cyril rappelle aussi que les neurosciences nous attribuent une capacité cognitive de six heures par jour et qu’une étude de Stanford nous apprend que si les équipes de Steve Jobs avaient réduit leur temps de travail par deux, le Mac aurait été mis en vente deux ans plus tôt (ndlr : nous n’avons pas retrouvé la source de cette étude). En d’autres mots, en travaillant trop, on détruit de la valeur.
La révolution serait en marche ? Peut-être pas complètement. Fanny, comme toute bonne anthropologue, ne se fie jamais aux apparences : « Même si le rôle du manager évolue, le projet de performance reste le même. Et la domination et le rapport de force n’ont pas disparu. Plus on monte dans les échelons, plus on passe du temps à se méfier des autres. Les jeux de pouvoir existent : maîtriser une zone d’incertitude permet toujours de prendre le pouvoir sur les autres. Les mots changent, mais rien ne change vraiment. »
Et manager fatigue ! Pour remplir à bien sa mission sur la durée, le manager doit être formé et accompagné. Sur des hard skills, comme la conduite de réunion ou la communication. Mais aussi sur des soft skills pour apprendre à mettre son équipe en autonomie. Pour Grégoire, « les soft skills, c’est comme les muscles, ça s’entretient ! «