Le paradoxe de la mobilité
Les recruteurs sont formels : les candidats ne sont plus assez mobiles. Le rapport au travail a changé et la jeune génération ne prend plus le risque de tout quitter pour décrocher un job dans une autre région. C’est le paradoxe de la mobilité : encouragée par les pouvoirs publics et les entreprises, la mobilité professionnelle est devenue rare.
> Rite de passage
Avant, il fallait « voir du pays ! » Quitter sa région, ses amis, sa famille, pour saisir une nouvelle opportunité professionnelle… Le plongeon dans le grand bain du labeur était aussi un rite de passage vers la vie de travailleur adulte. S’affranchir pour grandir : la mobilité était un passage obligé, l’horizon à dépasser pour faire carrière.
Aujourd’hui, les déplacements sont facilités, mais la mobilité a du plomb dans l’aile. Les jeunes ne veulent plus quitter leur nid. Le travail n’est plus aussi déterminant, on cherche avant tout une qualité de vie dans un lieu choisi selon des critères extra-professionnels. La prime à la proximité pèse plus lourd dans la balance que la prime à la mobilité. L’insécurité qui règne dans le monde du travail y est certainement pour quelque chose.
> La mobilité subie
Pour ceux qui ont choisi d’emboiter le pas de la mobilité, le chemin de l’exil n’est pas de tout repos. Les aides à la mobilité existent (sous forme de crédit d’impôt, en particulier pour les jeunes qui trouvent un emploi dans un secteur en pénurie de main d’œuvre, le 1% logement…), mais il faut se reconstruire à chaque déménagement, tisser de nouvelles relations, trouver un emploi pour le conjoint, changer les enfants d’école… tout est plus compliqué.
La mobilité n’est plus choisie, elle devient obligatoire si on peine à trouver un travail. La mobilité interne dans les entreprises répond elle aussi à des lois qui échappent à tout contrôle. Entre les vœux exprimés et le résultat obtenu, il y a parfois tout un monde. Pour toutes ces raisons, la mobilité est devenue une contrainte qui s’ajoute aux autres (des salaires en berne, les trajets domicile-travail qui s’allongent, la précarité…).
L’instabilité a pris le relais de la mobilité. Un paradoxe de plus de notre époque, où les distances s’estompent, à condition d’en avoir les moyens. Tout le monde vante les mérites de la mobilité professionnelle mais seule une minorité ose faire ses bagages. Comme les parachutes dorés ou la fuite des cerveaux, c’est un luxe réservé à l’élite.
Contemplant l’idéal d’Erasme ou de l’Auberge espagnole, nous sommes ainsi devenus des spectateurs de la mobilité.