« Humour » au travail : les limites que pose la Cour de cassation
La décision du 5 novembre 2025 de la Cour de cassation rappelle que des propos jugés « humoristiques » peuvent justifier un licenciement pour faute grave lorsqu’ils portent atteinte à la santé psychiques des collègues.
Dans un arrêt daté du 5 novembre 2025, la Cour de cassation rappelle avec force que tout salarié a non seulement l’obligation de protéger sa santé et sa sécurité sur son lieu de travail, mais aussi celles de ses collègues. Cela vaut, selon la Haute juridiction, même lorsque les propos discriminatoires ou dégradants sont tenus sous couvert d’humour, sur le lieu et le temps du travail.
Rappel des faits : des blagues qui tournent mal
La Cour de cassation a été saisie d’un litige dans lequel le directeur commercial d’une agence d’influence marketing avait tenu à plusieurs reprises, « sur le ton de l’humour », des propos à connotation sexuelle, sexiste, raciste et homophobe. Les faits reprochés étaient nombreux : envoi d’images pornographiques à un stagiaire, de « clichés à caractère raciste à l’égard de sous-traitants malgaches », de commentaires sur l’orientation sexuelle d’un salarié… Des propos perçus comme dégradants par plusieurs salariés, même si un grand nombre de ses collègues ont attesté au cours de la procédure qu’ils appréciaient le directeur commercial.
Après plusieurs avertissements, l’employeur avait décidé de le licencier pour faute grave, estimant que ces comportements étaient incompatibles avec les obligations découlant de son contrat de travail.
Le salarié avait contesté son licenciement en soutenant que ces échanges « s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes, qui n’avaient pas vocation à devenir publics ». Pourtant, les faits s’étaient déroulés au sein même de l’entreprise, lors de réunions mais aussi via la messagerie professionnelle.
La réponse ferme de la Cour de cassation : l’humour ne justifie pas tout
La Haute juridiction devait trancher une question centrale : les propos tenus par un salarié peuvent-ils justifier un licenciement pour faute grave lorsqu’ils sont formulés sous prétexte d’humour, et s’ils sont susceptibles de porter atteinte à la dignité ou à la santé psychique d’autres salariés ?
Dans son arrêt du 5 novembre 2025, la Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel de Paris, qui avait retenu la réalité de la faute grave :
- Elle constate que le salarié avait tenu des propos à connotation sexuelle, sexiste, raciste et stigmatisante à l’égard de certains collaborateurs, portant atteinte à leur dignité en raison de leur caractère dégradant.
- Elle souligne que ces faits, même présentés comme humoristiques, étaient répétés, tenus sur le lieu et le temps du travail, et avaient heurté plusieurs salariés.
- Elle retient que ces comportements étaient de nature à porter atteinte à la santé psychique d’autres salariés, ce qui, au regard de l’article L. 4122-1 du Code du travail, constitue un manquement grave à l’obligation de sécurité qui pèse sur chaque salarié.
Sur ces bases, la Cour de cassation confirme la légitimité du licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre du salarié.
Protéger la santé et la sécurité : un devoir pour chaque salarié
L’arrêt s’inscrit dans une évolution de la jurisprudence en matière de droit du travail. En effet, l’obligation de sécurité ne pèse pas uniquement sur l’employeur, mais aussi sur chaque salarié. L’article L. 4122-1 du Code du travail impose à tout travailleur de « prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». Longtemps associée à la prévention des risques physiques, cette obligation inclut désormais clairement la protection de la santé psychique et de la dignité.
Dans ce cadre, la Cour rappelle que l’humour dans l’entreprise n’est pas sans limite. Lorsque des propos, fussent-ils « drôles », créent un environnement de travail potentiellement nuisible à certains, ils peuvent constituer un manquement au devoir de sécurité justifiant une sanction, voire un licenciement pour faute grave.
Concrètement, que change cette décision ?
Pour les employeurs
Cette décision offre une boussole claire pour évaluer les comportements en entreprise. L’employeur dispose d’un cadre juridique solide pour sanctionner les propos dégradants ou discriminatoires, même lorsqu’ils peuvent être qualifiés d’humoristiques, notamment lorsqu’ils sont répétés ou persistent malgré des avertissements. Elle rappelle qu’un climat de travail respectueux est une condition indispensable à la santé psychique, au même titre que la sécurité physique.
Pour les salariés
La décision de la Cour de cassation réaffirme que la liberté d’expression s’exerce dans l’entreprise selon des règles spécifiques. L’humour, même léger pour certains, ne peut justifier des atteintes répétées à la dignité d’autrui. Chacun est acteur de la préservation d’un environnement de travail sain, responsable non seulement de sa propre conduite mais aussi du climat collectif.