Impact des entreprises sur la biodiversité : 5 questions sur la nouvelle réglementation européenne

Les entreprises européennes devront désormais rendre des comptes sur l’impact de leur activité sur les écosystèmes.

La végétalisation des sol set des toits favorise la biodiversité sur le site de l'entreprise.
La végétalisation des sols et des toits favorise la biodiversité sur le site de l'entreprise. © Artinum/stock adobe.com

Adoptée par le Parlement européen fin 2022, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) s’appliquera progressivement à partir du 1er janvier 2024. Ce texte succède à la Non Financial Reporting Directive (NFRD), qui imposait déjà aux entreprises de publier, en plus de leur bilan financier, un bilan ESG (environnemental, social et de gouvernance).

Ces chiffres servent ensuite de repères à toutes les parties prenantes (investisseurs, consommateurs, décideurs politiques, collaborateurs et les candidats) afin de juger si telle ou telle entreprise est vertueuse en termes de développement durable.

Quel est l’objectif de cette nouvelle directive européenne ?

Son dessein principal est d’harmoniser le reporting extra-financier des entreprises européennes, à travers un partage d’informations plus précises et plus fiables, intégrant la composante biodiversité. Elle vise aussi à élargir le nombre d’entreprises assujetties à cette obligation.

« La philosophie est d’amener les entreprises à réfléchir différemment pour confronter leur modèle économique aux limites planétaires. Nos travaux amènent souvent à la conclusion que pour réduire durablement notre impact sur la biodiversité, il faut changer drastiquement de modèle économique ou opter pour la décroissance », synthétise Timothée Quellard, co-fondateur d’Ekodev (cabinet acteur de la branche Energy & Environment du groupe EPSA), spécialisé en climat, RSE, biodiversité et mobilités.

Le texte européen introduit également la notion de double matérialité dans l’examen de tous les critères ESG (changement climatique, biodiversité, sujets sociaux). « Concrètement, cela signifie qu’une entreprise mesurera, à la fois, les impacts positifs et négatifs de son activité sur son environnement, mais aussi l’influence de son environnement sur son business. Pour ce deuxième point, prenons l’exemple du réchauffement climatique : il induit une multiplication des épisodes de sècheresse et de canicule et se traduira par des tassements de sol à prendre en compte dans le secteur immobilier », indique Timothée Quellard.

Quelles entreprises seront concernées ?

Les premières concernées par le dispositif seront les entreprises de plus de 500 salariés affichant un chiffre d’affaires de plus de 40M€ et/ou plus de 20M€ de total de bilan. Elles devront publier leur reporting en 2025 sur l’exercice 2024.

L’année suivante, l’obligation s’étendra aux autres sociétés européennes satisfaisant au moins deux des critères suivants :

  • Plus de 250 salariés
  • Plus de 40M€ de CA
  • Plus de 20M€ de total de bilan

Au fil des ans, de plus en plus d’entreprises seront sommées de publier ce bilan extra-financier. À horizon 2029, 50 000 entreprises européennes devront se plier à cette obligation.

Comment mesurer l’impact de son activité sur la biodiversité ?

« La première étape est de déterminer l’influence de votre activité sur les 5 pressions majeures qui affectent la biodiversité, dénommées les pressions IPBES : artificialisation des sols, surexploitation des ressources biologiques, présence d’espèces exotiques invasives, changement climatique et pollutions », détaille le co-fondateur d’Ekodev.

La deuxième étape est ensuite de mesurer les dépendances de l’entreprise par rapport aux ressources planétaires (eau, sols, forêts…). « En croisant ces données, on obtient les opportunités et les contraintes et on peut dresser une feuille de route qui s’appuie sur quatre ou cinq actions concrètes », poursuit-il.

En termes d’outils, les entreprises peuvent s’appuyer sur le Global Biodiversity Score pour effectuer leur diagnostic, à l’échelle d’un site ou d’un produit, en deux temps : mise à jour du lien entre activités économiques et pressions sur la biodiversité, puis quantification de ces pressions en MSA au km². « Le MSA est devenu l’unité standard pour évaluer la qualité de la biodiversité par hectare, 0% représentant un parking bétonné, 100% représentant la forêt vierge. »

Certaines sociétés utilisent, quant à elles, le coefficient de biotope par surface (CBS), qui décrit la proportion de surfaces favorables à la biodiversité au regard de la surface totale d’une parcelle.

Quelles bonnes pratiques adopter pour réduire son empreinte biodiversité ?

Pour améliorer leur score CBS, certains groupes ont d’ores et déjà engagé des chantiers de végétalisation d’une partie de leur parking, des toits et terrasses de leurs immeubles, mais aussi de création de zones humides avec une mare dans leur parc.

« Ce ne sont pas forcément les activités auxquelles on pense spontanément qui ont le plus d’impact sur l’environnement. 80% des impacts des entreprises sur la biodiversité sont liés à des émissions indirectes, d’où l’importance de calculer l’empreinte biodiversité de toute la chaîne de valeur », précise Timothée Quellard.

Il cite en exemple un parc d’attractions pour lequel plus de 90% de l’impact reposait sur la chaîne de valeurs (approvisionnement des restaurants, notamment en viande à l’origine de la déforestation, impact du merchandising, en particulier des produits en plastique vendus dans les boutiques…) : « Finalement, le responsable des achats avait plus de pratiques à revoir que le paysagiste », observe-t-il.

La grande distribution s’interroge aussi à ce sujet. Si certaines enseignes souhaitent s’engager à ne vendre que des produits n’entraînant aucune déforestation, elles doivent d’abord mener un vaste travail de collecte de la donnée avant de choisir leurs fournisseurs.

Comment communiquer sur le sujet ?

En interne, les entreprises ont tout intérêt à associer leurs collaborateurs à cette réflexion, à trois niveaux :

  • Embarquer les salariés volontaires pour coconstruire la feuille de route ;
  • Former et sensibiliser l’ensemble des équipes, à travers des ateliers Fresque du climat, mais aussi des formations plus en lien avec la réalité des métiers : les matières composant les produits, les procédés de fabrication, les modalités de transport…
  • Accompagner les collaborateurs dans la mise en œuvre des solutions : le plan d’action est souvent entre les mains des collaborateurs, qui doivent adopter les bons réflexes.

« Récemment, un DRH m’a dit : ‘’ Tous les candidats nous interrogent sur notre impact sur le climat, mais pas un ne me pose de question sur la biodiversité’’, relate Timothée Quellard. Pourtant, les résultats d’actions favorisant la biodiversité sont bien plus palpables que ceux d’un bilan carbone. Il est plus facile de constater le retour de la faune et la flore dans un espace que de ressentir les effets d’une réduction des émissions de CO2 ! Je suis persuadé que, dans les années qui viennent, les engagements d’une entreprise en matière de biodiversité feront la différence en termes de marque employeur ! »

Bien s’équiper pour bien recruter