Comment ne pas avoir peur de l’IA dans le recrutement

Déshumanisation, biais potentiels, transformation des métiers… l’IA génère une série de questionnements et de craintes chez les recruteurs. Géraud Tarride, directeur innovation et IA au sein de l’agence WAT, vous aide à faire la part des choses.

crainte recruteurs ia
« L'IA ne remplacera pas le recruteur, elle élèvera son niveau. » © ND Creators/stock adobe.com

Pourquoi l’IA suscite-t-elle peur ou méfiance dans le recrutement ?

Géraud Tarride : Il n’y a pas une seule raison. Certaines craintes sont justifiées, d’autres beaucoup moins. La première, selon les études, c’est la défiance vis-à-vis des outputs : les recruteurs n’ont pas confiance dans ce que produit l’IA – et à raison -, car l’IA se trompe parfois.

Ensuite, il y a la crainte de perdre son emploi, qui vient d’une mauvaise compréhension des outils. Peu de formations ont été faites : la moitié des entreprises n’ont toujours pas formé leurs collaborateurs à l’IA. Donc les RH, qui sont pourtant au cœur de la transformation, comprennent mal le fond et les capacités réelles des outils.

Troisième source d’inquiétude : la conformité juridique. Beaucoup attendaient le cadre réglementaire européen : RGPD, IA Act… Maintenant qu’il existe, il faut y aller, mais ça reste intimidant.

Dernier point, les entreprises ont peur de perdre leur authenticité. Les IA lisent tout, uniformisent tout. Dès lors, comment maintenir une marque employeur singulière ?

Quels outils IA sont aujourd’hui réellement utilisés par les recruteurs ?

G. T. : Ils utilisent principalement 4 grands types de solutions, en fonction des cas d’usage :

  • les modèles de langage (ChatGPT, Copilot…) pour rédiger des offres d’emploi, préparer des entretiens, synthétiser des notes, créer des grilles d’entretien, rédiger des mails de réponse aux candidats.
  • les briques IA intégrées aux jobboards pour optimiser les offres d’emploi, faire du matching… Ces outils sont souvent utilisés par les recruteurs qui ignorent parfois même que c’est de l’IA.
  • les chatbots sont très à la mode, mais il faut avoir en tête que les anciennes technos sont dépassées et que l’expérience candidat y est souvent décevante. Les chatbots génératifs coûtent cher et doivent être extrêmement fiables pour ne pas raconter n’importe quoi.
  • le tri de CV : il existe des solutions, mais il faut rester très prudent quant aux biais potentiels. Ce qui nécessite beaucoup de travail de paramétrage. Très peu d’entreprises l’ont réellement mis en place.

À quel stade du recrutement l’IA est-elle surtout utilisée ?

G. T. : Principalement en amont et au début du processus de recrutement, pour tout ce qui est rédaction des offres d’emploi, messages d’approche, synthèses d’entretien, relances, refus, confirmation…

Tout ce qui était auparavant du copier-coller peut être automatisé, tout en restant personnalisé. Autre avantage : il s’agit d’outils déjà disponibles et qui ne coûte pas grand-chose.

Comment l’IA transforme-t-elle le rôle du recruteur ?

G. T. : Comme pour tous les métiers, le recruteur qui ne met pas de valeur dans son métier a du souci à se faire. Rédiger toujours la même offre, faire des entretiens sans engagement, ne pas se soucier de l’expérience candidat… ça, l’IA pourra bientôt le faire très bien. En revanche, le recruteur qui devient pilote du recrutement, lui, va gagner en impact. Demain, un bon recruteur sera celui qui lit, interprète et combine les données, les signaux, les insights fournis par les outils pour prendre la meilleure décision. L’IA ne le remplacera pas, elle élèvera son niveau.

Par quoi commencer quand on n’a pas encore implémenté l’IA ?

G. T. : Deux étapes sont essentielles, selon moi. D’abord, se former, pour comprendre ce qu’est vraiment l’IA, ce qu’elle peut et ne peut pas faire, et comment elle transforme l’entreprise. Une fois que l’on a posé cette brique essentielle, on peut identifier les pain points : quelles tâches nous prennent le plus de temps, sont les plus fatigantes et les plus frustrantes ? Ce sont celles-là qu’il faut automatiser en priorité.

Des exemples concrets de déploiements réussis ?

G. T. : Le plus marquant est celui d’un très gros cabinet de recrutement. Le directeur recrutement était convaincu des bénéfices de l’IA et il a dit à ses équipes : « Si l’IA vous permet de faire votre job en 4 jours, je vous offre le 5e. » Autant dire que tout le monde l’a écouté.

Dans tous les cas, quand on forme, on explique les limites, on implique les collaborateurs dans des ateliers, on nomme des ambassadeurs, l’adhésion suit. Il restera toujours 5 % à 10 % d’irréductibles, mais on embarque les autres ! Et une fois qu’on y a goûté, il est très difficile de revenir en arrière.

À quelles conditions l’IA peut-elle être déployée à grande échelle dans le recrutement ?

G. T. : En n’oubliant jamais que le recrutement est un métier profondément humain et que cette humanité n’est pas « codable ». Il faut sanctuariser ce qui fait l’ADN de l’entreprise et du process. Ensuite, il faut communiquer avec beaucoup de transparence auprès des recruteurs, des candidats et des managers sur les outils utilisés : pourquoi ? Comment ? Avec quelles limites ? L’IA Act va d’ailleurs obliger à cette transparence. Enfin, il ne faut jamais déléguer 100 % de ses missions à une IA, au risque de perdre nos capacités cognitives. Les outils sont puissants, mais ils doivent rester des assistants, pas des remplaçants. Toujours « faire avec », jamais « faire à la place de ».

Guests profil picture

Géraud Tarride

Directeur de l’innovation et de l’IA chez We Are Together

Géraud Tarride a d’abord travaillé chez IBM, puis chez Publicorp, avant de rejoindre l’agence We Are Together. Après une dizaine d’années à la planification stratégique, il a monté le pôle Innovation et IA chez WAT. La mission de son équipe est double : faire prendre le virage IA à l’agence elle-même, en testant énormément d’outils, et accompagner ses clients (RH et annonceurs) dans leur déploiement de l’IA.

Bien s’équiper pour bien recruter