Fiction RH : assistez à un entretien d’embauche en 2035
Découvrez le texte de Sylvain Colas, directeur du recrutement chez ACC et auteur de fictions RH. Le récit d’un entretien d’embauche en 2035, créé spécialement pour Helloworkplace.
Pour conclure notre série « Recruter en 2035 », nous avons donné carte blanche à Sylvain Colas, directeur du recrutement chez ACC et auteur de fictions RH, pour imaginer ce à quoi pourrait ressembler un entretien d’embauche en 2035, dans le cadre d’une nouvelle. Cette fiction futuriste s’inspire des grandes tendances identifiées dans les quatre interviews publiées au cours de cette semaine spéciale.
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Novembre 2035. Dans les locaux de CompagnIA, leader français des services d’accompagnement des personnes âgées dans leur utilisation de l’IA. Un entretien en présentiel : Léa, candidate au poste de recruteuse, et Assia, responsable de l’équipe recrutement, sont assises dans une salle de réunion phygitale, et un assistant IA s’affiche en transparence sur un écran mural, comme un tableau de bord partagé. On ne voit presque pas l’IA, mais ses données ponctuent la discussion. La préqualification et la première évaluation technique ont été réalisées à distance, avec le support d’agents IA spécialisés. Léa a été short-listée et se rend dans les locaux de l’entreprise pour la première fois.
Assia : Bonjour Léa, merci d’être venue nous rencontrer. Votre agent IA coach de carrière a indiqué à notre agent IA de préparation des entretiens que vous préférez l’eau gazeuse, alors nous vous en avons prévu une bouteille. Sentez-vous libre de vous servir.
Léa : Oh ! Merci beaucoup pour cette attention ! En voulez-vous un verre ?
Assia : J’ai pris un café, je vous remercie. Avez-vous pu consulter votre espace candidat avant de venir ?
Léa : Oui, tout à fait. J’ai découvert mon score de correspondance avec le poste de recruteur que vous proposez : 78 sur 100, et le détail par critère. Je vous avoue que je n’avais jamais vu un niveau de transparence pareil.
Assia : Cela fait partie des démarches mises en place par le Chief Transparency Officer dont nous avons créé le poste en 2028. Nous avons déployé le principe de transparence dans les processus de recrutement il y a trois ans. Rapidement après la mise en application, en 2026, de la directive européenne sur la transparence salariale, nous nous sommes rendu compte que les collaborateurs n’acceptaient plus les boîtes noires d’aucun type. Nous avons donc étendu la transparence aux critères d’évaluation. Aujourd’hui, dès que vous postulez chez CompagnIA, vous avez accès à :
- la grille de compétences requises pour le poste,
- le poids de chaque critère,
- et le scoring de l’IA, à mesure que vous passez les étapes.
Léa : Ça explique les jauges « Compétences techniques : 82 », « Soft skills: 73 », « Expérience dans des environnements augmentés : 64 »… Mais je me demandais : pourquoi je ne suis qu’à 60 sur « Pensée critique & usage responsable de l’IA » ?
Assia : Bonne question ! Regardons ça ensemble (elle touche l’écran, la fiche « Pensée critique » s’ouvre, avec les réponses de Léa et le commentaire de l’IA.). Alors… On voit que lors de votre cas pratique, vous avez suivi quasiment à la lettre les recommandations de votre copilote IA sans les challenger. Vous donnez de bonnes consignes, mais l’algorithme a considéré que vous ne vérifiez pas suffisamment les réponses de l’IA.
Léa : C’est drôle, parce que je croyais justement « bien faire » en montrant que je savais exploiter l’outil.
Assia : Diriger efficacement l’IA, c’est bien. Mais ce que nous valorisons encore plus, c’est savoir quand ne pas lui obéir. Nous avons eu trop de cas où des décisions calibrées fidèlement sur les recommandations des modèles se sont avérées désastreuses.
Léa : Donc, si je comprends bien et que votre logique d’entreprise s’applique à vos processus de recrutement, ce score aussi est une recommandation, et pas un verdict ?
Assia : Exactement ! L’IA vous positionne par rapport aux autres candidats, mais c’est ici, dans cette salle, que nous décidons si on peut travailler ensemble. Le score, c’est un repère dans un contexte donné, pas une sentence. Bien, parlons de la rémunération : quand votre IA Coach de carrière a commencé le processus de candidature, elle était calibrée sur un salaire fixe souhaité à 60 000 euros bruts. Vous l’avez laissée poursuivre la candidature même si notre fourchette de rémunération était clairement indiquée comme étant comprise entre 54 000 et 57 000 euros bruts. Pourquoi ?
Léa : Oui, effectivement. Comme vous êtes très transparents, j’ai pu consulter votre politique salariale : fourchettes, médiane, distribution par genre, par âge… et également le taux d’augmentation moyen à trois ans avec le pourcentage de vos collaborateurs augmentés chaque année. J’ai considéré que vous proposiez un environnement salarial qui répondrait rapidement à mes attentes, si vous me recrutez directement en haut de votre fourchette.
Assia : C’est clair, merci. Nous allons effectivement un peu plus loin dans la transparence salariale que la loi ne nous l’impose. Nous avons décidé de ne plus publier une offre d’emploi sans afficher la fourchette de rémunération, mais aussi partager les critères qui font qu’on se situe en bas, au milieu ou en haut de la fourchette. Nous avons mis du temps à apprivoiser ça dans l’équipe recrutement, mais tout le monde a vite vu les avantages :
- moins de candidatures hors cible ;
- et nous limitons les surprises en fin de process.
Dans votre cas, compte-tenu de vos années d’expérience et de vos scores, nous vous proposerons effectivement le haut de la fourchette si nous vous faisons une offre d’embauche. Je vois que ça vous fait sourire ?
Léa : Oui, c’est amusant. Mes parents m’ont souvent dit qu’à leur époque, le passage à la transparence salariale avait créé de la jalousie. Finalement, on dirait que ça a surtout supprimé les fantasmes et les négociations d’apothicaires.
Assia : Exactement ! Et comme la transparence salariale a bien fonctionné, nos collaborateurs ont ensuite poussé pour la transparence des évaluations : ils voulaient comprendre pourquoi ils avaient été promus, pourquoi ils ne l’avaient pas été, et sur quoi ils pouvaient agir. Nous avons pris leurs attentes en considération, et nous offrons le même niveau de transparence à nos candidats. Cela fait partie intégrante de notre marque employeur.
Léa : Justement, en parlant de marque employeur… Sur votre site, j’ai aussi découvert votre score d’impact RSE : carbone, inclusion, parentalité, emploi des seniors. Cela donne envie de vous rejoindre, mais c’est vérifié par qui ?
Assia : Par plusieurs organismes externes et par nos propres salariés. Vous avez dû voir le baromètre social ouvert, avec tous les verbatims anonymisés. Il y en a plus de 200.
Léa : Oui, j’ai passé une bonne heure à le lire. Ça change des pages « happy washing » où tout le monde sourit. Là, on voit des salariés qui disent aussi ce qui ne va pas.
Assia : C’est le deal : faire de notre marque employeur une promesse, pas une publicité. On affiche autant nos points forts que nos irritants. On préfère qu’un candidat renonce en voyant nos contraintes plutôt qu’il nous rejoigne sur une promesse trompeuse.
Léa : Parlons-en concrètement alors. Je me suis noté que vous affichez « 100 % des managers formés à la coopération avec des IA, 58 % de postes pourvus via la mobilité interne et un taux de turnover qui a baissé de moitié en trois ans ». C’est très impressionnant, mais ça veut dire quoi pour moi, au quotidien ?
Assia : Pour vous, ça signifie que si vous nous rejoignez :
- dès votre arrivée, vous aurez un copilote IA RH, qui vous aidera à naviguer dans les projets, les compétences, les formations ;
- en tant que manager, je suis formée pour travailler avec ce copilote, et pas pour vous surveiller à travers lui ;
- et surtout, nous nous engageons à vous proposer au moins une opportunité de mobilité interne au bout de 18 mois, si vous êtes au niveau attendu.
Léa : Très bien. Comment mesurez-vous ce niveau attendu au sein de votre équipe recrutement, du coup ?
Assia : Par un mix de choses :
- vos résultats sur quelques indicateurs de performance clés ;
- votre engagement : nous faisons des enquêtes très courtes, anonymisées, tous les mois ;
- et le turnover sur le poste : si on se trompe trop souvent, on revoit notre façon d’évaluer. Mais il n’y a pas de souci de ce côté au sein de l’équipe recrutement actuellement.
Léa : Il y a une donnée que je n’ai pas trouvée dans mon espace candidat, c’est le nombre de candidats pour ce poste de recruteur, étape par étape. Est-ce que nous sommes nombreux encore en piste ?
Assia : Non… Nous ressentons clairement le grand basculement démographique depuis l’an dernier. Sur ce poste, il y a cinq ans, on avait peut-être 50 candidatures de qualité. Cette année, on a reçu… huit profils acceptables. Et encore, deux étaient des seniors qui souhaitaient prolonger leur carrière pour seulement une année. Vous n’êtes que deux à arriver à cette étape du processus de recrutement.
Léa : Oui… Ça ne va pas nous faciliter la tâche, au recrutement… Vous en pensez quoi, vous, du maintien dans l’emploi des seniors ?
Assia : Je pense que les entreprises n’ont plus le luxe de les laisser partir sans réfléchir. Nous investissons davantage dans leur formation continue, nous aménageons leur temps de travail, et nous les mettons en binôme avec des plus jeunes. Ça fait partie de notre réponse au choc démographique.
Léa : Et du côté des jeunes parents ? J’ai deux enfants en bas âge, comme j’ai autorisé mon IA coach de carrière à vous le partager. Avec les pénuries d’actifs, on a parfois l’impression que les entreprises veulent qu’on soit disponible 24/7.
Assia : Soyez rassurée, nous avons intégré la parentalité dans nos indicateurs critiques de fidélisation ! On sait que si on perd les jeunes parents, on ne les remplace plus.
Concrètement pour vous, sur ce poste de recruteuse :
- votre nombre d’heures hebdomadaire est contractualisé mais flexible selon vos contraintes ;
- le télétravail est possible jusqu’à 3 jours par semaine, plus des aménagements temporaires en cas de problème de garde ;
- et votre IA RH vous aide à simuler l’impact de vos choix de rythme de travail sur votre trajectoire de carrière et votre rémunération.
Léa : L’IA me dit si j’abîme ma carrière en allant chercher mes enfants à 17h ?
Assia : Non ! Elle montre les tendances, basées sur la data RH. C’est à nous, managers et RH, de décider quel scénario on rend acceptable. C’est là qu’intervient l’humain, et plus l’algorithme.
Léa : J’aime bien cette distinction entre ce que l’IA montre et ce que vous décidez. Mais comment vos candidats peuvent être sûrs que l’IA ne les discrimine pas avant même d’arriver jusqu’à cette étape ?
Assia : Très bonne question. Avez-vous vu dans votre espace candidat le petit onglet “Audit de l’IA” ?
Léa : Oui, avec des scénarios de tests : CV féminins/masculins, juniors/seniors, célibataires/parents…
Assia : Nous nous sommes engagés à le publier aux candidats. Tous les trimestres, nous « torturons » nos algorithmes : on leur envoie des CV fictifs équivalents, on mesure les écarts de score et on publie les corrections. Et si vous le souhaitez, à la fin du processus, vous pourrez télécharger votre dossier d’évaluation complet : scores sur chacun des critères, notes du manager, arbitrages. Tous les candidats peuvent faire cette demande, quelle que soit l’étape à laquelle leur candidature a été rejetée.
Léa : Donc, si je suis refusée, je saurai exactement pourquoi ?
Assia : Si vous n’êtes pas retenue pour ce poste, plutôt. Nous ne refusons personne définitivement, nous sélectionnons le meilleur candidat du processus. Et si vous pensez qu’une partie de l’évaluation n’a pas été juste, vous pouvez demander une analyse commentée par un humain, et vérifiée par notre Chief Transparency Officer. C’est notre interprétation améliorée de l’IA Act : aucune décision n’est opaque, surtout dans un contexte où on manque autant de talents.
Léa : C’est rassurant… et un peu intimidant aussi. On ne peut plus se raconter d’histoires côté recruteurs comme côté candidats : si ça ne colle pas, la raison est écrite noir sur blanc.
Assia : C’est vrai. Mais cela a réduit énormément les biais, et on a gagné en honnêteté de part et d’autre. Vous, vous voyez de quoi est faite notre promesse. Nous, on voit mieux comment on peut vraiment vous projeter chez CompagnIA. Bon, maintenant qu’on a parlé data, IA et transparence… on peut passer à la question centrale : est-ce que vous vous voyez faire équipe avec nous, humainement, dans ce monde de 2035 ?

Sylvain Colas
Directeur du recrutement chez ACC
Sylvain Colas a 20 années d’expérience en ressources humaines, dont 10 années de direction d’équipes recrutement et marque employeur en environnement industriel et international. Il est également l’auteur du projet The HR Singularity, une plateforme de contenus multimédia qui explore les analogies entre problématiques RH et œuvres de science-fiction, dans une démarche prospectiviste.
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